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 Salve Regina

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Thomas Dole
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MessageSujet: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeDim 12 Juin - 0:23

Le pauvre malheureux était en train de cracher du sang. Il pleurait, il pleurait, ses larmes et sanglots entrecoupés de crachats, il se vidait petit à petit de sa substance, et autour de lui, personne ne pouvait rien faire pour l'aider. Ni les herbes, ni les élixirs n'avaient réussis à empêcher son atroce hémorragie. Tout ce que l'on pouvait faire, à présent, c'était calmer ses souffrances, à l'aide de pavot et autres concoctions, que son passage vers le paradis se fasse en paix.

- Salve, Regina, Mater misericordiae. Vita, dulcedo et spes nostra, salve.
Ad te clamamus, exsules filii Hevae.
Ad te suspiramus, gementes et flentes in hac lacrimarum valee.
Eia ergo, Advocata nostra, illos tuos misericordes oculos ad nos converte.
Et Calanthe, benedictum fructum ventris tui, nobis post hoc exilium ostende.
O clemens, o pia, o dulcis, Calanthe ! Amen.


Philippe avait prié à voix haute, doucement, dans le coin de l'hôpital. Le malheureux avait terminé de se vider de tout son corps, et voilà qu'il avait passé de vie à trépas. Un signe de la croix, et Philippe s'éloigna tandis qu'on recouvrait son corps d'un linge.
Tant de morts... Tant de morts ces derniers temps. Inexplicable. Il y avait toujours eut des maladies, de tout temps, partout. Mais aussi rapidement ? Aussi vite ? La mort frappait partout, et tout le temps. Les gens se mettaient à vomir du sang, leur peau changeait, leurs corps finissaient prostrés, et après une lente et douloureuse agonie, les malheureux succombaient.
Ajoutez à cela cette nouvelle peste, surnommée « la Fange », qui progressait en Longuejarrie... Beaucoup de gens y voient l'Apocalypse annoncée par Saint-Alceste. Les morts qui se soulèvent à nouveau pour attaquer les vivants ? Que Dieu nous vienne en aide...

Philippe, frère chevalier de l'ordre de l'hôpital de Saint-Jean d'Eden (Ou juste « Hospitaliers » pour faire plus simple), n'avait jamais vu son office autant remplie. Son hôpital, qu'il dirigeait depuis maintenant des années, était le plus pauvre et le plus éloigné de l'ordre établie justement dans la Sainte-Ville d'Eden. On était dans une frontière, tout au sud, avec un puissant émirat muharib qui, heureusement, continuait de respecter la trêve instaurée il y a maintenant 7 ans entre le Grand-Vizir et le Rex Bellator Etienne Ier.
Cela fait 50 ans que des hommes de Borée sont venus en Croisade pour libérer le chemin vers la Terre-Sainte, et Eden. Mais même avec la ville prise, les conflits ont continué. Aujourd'hui, les hospitaliers ont un rôle simple : Défendre les routes, soigner les croyants, venir en aide aux pauvres. Un travail dur, difficile, fatiguant. Notamment avec les nouvelles maladies qui sont en train de terrasser la population. Et cette maladie, elle touche tout autant les muharibs que les croisés.

Heureusement, Philippe de Tourres, noble du Royaume d'Agrance partit en Terre-Sainte et ordonné dans la Foi, a découvert quelque chose. D'ailleurs, il est retourné à son bureau pour observer un moment ses plans, et reprendre ses documents. Il pense avoir trouvé quelque chose, quelque chose qui pourrait venir en aide au monde entier ;
Le sang de la chèvre sacrée.

La Prophète Calanthe est née d'une chèvre, il y a de cela 1187 années. Cette chèvre, elle est restée avec Arselam et Beristäs, le couple de bergers chémèshes qui a élevé Calanthe. Problème ; On en perd toute trace ensuite. Qu'est-elle devenue, cette chèvre ?
Pour beaucoup de théologiens, même tous, cette chèvre avait des propriétés magiques, soignant toute maladie, ce qui avait permit au petit bébé Calanthe, en gestation, de naître en parfaite santé, de ne jamais tomber malade. Cette immunité, voilà ce qui permettrait de lutter contre les épidémies, et surtout contre la Fange qui grandirait à des milliers de kilomètres d'ici.
Philippe pense savoir où cette chèvre a disparue. On sait que Calanthe est née dans le plateau de Bène-Adam, mais c'est un endroit gigantesque, un désert de montagnes, de roches, de dunes et d'oasis où vivent des tribus nomades. Et beaucoup de ces endroits n'appartiennent pas aux Croisés...
Le Grand-Maître des hospitaliers a été clair : Il n'enverra pas le moindre soldat pour venir en aide à Philippe. En réalité, le Grand-Maître est même persuadé que Philippe est devenu un vieux sénile, fou, et qu'il ne trouvera jamais de quelconque chèvre.
Ce serait sous-estimer la volonté de ce vieil homme.

- Malachite ! Te voilà ! Mon cheval est-il prêt ?

Son petit muharib, Malachite, vient tout juste de rentrer. Cela se voit à ses habits totalement poussiéreux et ses bottes couvertes de sable. C'est qu'il est parti ce matin dans un village proche pour aller acheter des provisions pour le voyage.
Philippe a de la chance. Son frère, ou plutôt, son « fils », Thomas de Tourres, a prit la Croix il y a de cela un an. Et il a épousé une comtesse veuve, qui règne sur la terre où se trouvent la commanderie de Philippe. Il faut donc rejoindre la ville de Samadina, lors d'un voyage qui prendra une semaine, pour aller lui demander de l'aide.

Philippe et Malachite sont accompagnés, pour cela, de quelques hospitaliers : Un chevalier, du nom de « Bohémont de Sarosse », un trentenaire agressif et acéré, qui déteste Malachite pour des raisons un peu obscures. « Gaubert », un jeune médecin, qui a des compétences en chirurgie et dans les préparations de drogues. « Julien le jeune », un frère-sergent, un poulain au teint mat, métisse, tout comme un autre frère sergent beaucoup plus vieux, « Tristan la Flèche », surnommé ainsi pour son habilité à l'arc. Malachite a amené avec lui quelques amis, aussi, et donc, on ne devrait pas être de trop pour effectuer le voyage.

- Nous partons à dix heures. Il faut que tu ailles prévenir les autres.
Et tu iras prier à la chapelle aussi.
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeDim 12 Juin - 10:34

Uniforme d'hospitalier:

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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeDim 12 Juin - 12:12

- Oui oui messire.

Je crois que c'est pas messire qu'il faut dire. Monseigneur ? Monsieur ? Mon pote ? Je sais pas, je cours quand même vers mon objectif : les chambres où nos feignants de compagnons sont partis glander. C'est toujours les mêmes qui bossent. Moi j'ai dû aller crapahuter jusqu'à Karza, parce que c'est le seul endroit où y a un vrai marché. On est au milieu de rien. Et c'est qui qu'on envoie ? Toujours le même. Comme par hasard. Je leur dis de ramener leurs fesses puis je trottine vers mon prochain objectif : la chapelle.

J'ai pas de problème en général. Par les temps qui courent, un basané qui rentre dans une église c'est pas si rare. Je suis pas le seul à bouffer à tous les râteliers. Y a vraiment qu'une ville, une fois, depuis ma conversion, où j'ai vraiment pas pu entrer. J'aime pas beaucoup l'exercice mais je persiste quand même. Faut dire que messire (monseigneur ? Frère ?) de Tourres a un gros avantage : il est pas chiant à vivre. Il a encore du bon sens, ne prend pas le petit personnel pour son paillasson ou sa bête de somme increvable. Puis j'étais dans une sale passe quand je l'ai rencontré. Ca vaut le coup d'aller supporter l'ambiance d'une chapelle.

J'ai du bol : elle est vide. Des fois y a un frère qui veut m'aider à tout bien faire, une petite vieille qui vient me féliciter aussi. Insupportable. J'ai envie de me jeter dans un feu pour laver toute la honte, quand ça arrive. On m'a bien expliqué que la prière c'était un truc perso, qu'on avait pas le droit de parler, alors je sais pas trop comment réagir. Faut que je fasse vraiment gaffe avec ces histoires là, ça peut me faire des problèmes très facilement si je dis une connerie sur le sujet sans m'en rendre compte. Une fois j'ai confondu le cadet des apôtres avec l'aîné, j'ai failli me faire égorger sur place.
Je fais tout bien comme on m'a appris : je me mets sur mes genoux, les mains jointes, et je marmonne du latin. Comme j'ai pas encore retenu bien comme il faut, y a des passages où je fais "mm mm mm" tout bas. Y a un missel qui traîne, si jamais j'avais une envie folle furieuse de bien faire, mais je m'épargne cette peine. Le frère de Tourres m'a infligé le pénible, long, et douloureux apprentissage de la lecture, mais je suis pas encore assez à l'aise pour m'y précipiter comme ça. C'est pour ça que c'est moi qu'il envoie tout le temps faire des trucs, je peux me débrouiller d'une liste de course.

L'un dans l'autre, ça m'occupe jusqu'à dix heures, le temps de boire et de pisser. Le frère de Tourres doit déjà être en train de ressangler son cheval, en marmonnant que j'ai mal fait. Je suis pas un très bon élève, et il essaye de fourrer beaucoup de choses en très peu de temps dans ma petite tête. Enfin c'est le cas de tout le groupe, mais j'suis avec lui depuis plus longtemps. J'crois qu'il est très fermement convaincu que les autres doivent s'améliorer à son contact. Et il aime beaucoup expliquer.

Je suis censé l'aider à tenir son cheval pendant qu'il monte, alors je me précipite pour le faire. Au final je suis le dernier arrivé dans la cour de l'hôpital. Pas fâché de quitter cet endroit. Il est vraiment glauque. Puis j'ai peur que les démons de la mauvaise maladie s'en prennent à moi si je reste trop longtemps. Vu l'odeur qui flotte dans certaines chambres, ça doit être rempli à ras bord d'esprits maléfiques là dedans.

On part ensuite dans la monotonie du voyage. On a déjà eu un temps pour se rôder, on a maintenant une petite routine qui tourne bien. Je suis content de courir devant et de ne pas avoir à rester tout le temps collé au cul du cheval à porter les affaires de tout le monde. C'est quand même putain de chiant. Nan moi je vais chercher les passages faciles, il y a beaucoup de reliefs dans le coin. L'un dans l'autre je fais une promenade sympathique. Faut juste éviter toutes les saloperies qui traîne, genre celle là en train de boire à coté du pont.
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeDim 12 Juin - 13:28

Ha, il était pas super fier le groupe de cavaliers qui quittait l'hôpital. Si Bohémont de Sarosse et Philippe de Tourres étaient heureux de grimper sur de superbes coursiers, le reste devait se contenter de chevaux de trait, ou même de mulets. Qu'importe. On était en armes, et on était parti pour un court voyage, en espérant que ce ne soit pas pour rien et que Thomas accepte bien d'envoyer des soldats pour la croisade personnelle de Philippe.

Le début du trajet est plutôt silencieux. Ah, normalement, un conroi de chevalier, c'est censé discuter, s'amuser, observer l'endroit. Mais là, on parle de gens d'un ordre. Des moines-soldats. Ces gens-là ont rejoint par fanatisme ou dévotion, ils sont vraiment les personnes les moins marrantes au monde. Imaginez, votre moine petit gros et sympathique qui fait du chaussée aux moines, sauf qu'à la place, il porte une épée et tue des muharibs.
Et encore, les Hospitaliers c'est les plus sympas, ils cherchent à aider des gens. Les moines-soldats de l'ordre Töterique sont des enculés qui s'attaquent même aux croyants de Calanthe, et les fidèles du Saint-Cippe sont des excités de l'arbalète, n'hésitant pas à faire des pendaisons sauvages.

- C'est grand, c'est vaste... Disait le médecin Gaubert en observant les gigantesques montagnes et reliefs escarpés de Terre-Sainte.
- Depuis combien de temps t'es là ? Demandait La Flèche en pivotant sur sa selle.
- J'ai rejoint les Hospitaliers il y a maintenant 5 ans, mais je ne suis en Terre-Sainte que depuis quelques mois.
- Ah ouais j'vois le genre. Bah ouais c'est grand ici. Pis c'est dangereux, faut pas t'éloigner des routes, sinon tu te fais attaquer par des trucs.

Malachite avait amené assez d'eau et de nourriture pour durer tout le voyage, et au pire, Philippe portait dans sa bourse des dirhams, si on s'arrête dans un village. On sait jamais.
Non, non, normalement, tout devrait bien se passer.

C'est dans l'après-midi, alors que le groupe allait s'arrêter pour manger un bout, que quelque chose arrêta le conroi ; Là, tout près de la petite rivière surmontée d'un ponton de bois, des agripèdes. Des sortes de poulets géants avec une corne et de grosses pattes. Pas trop dangereux, faciles à apeurer, ils sont néanmoins redoutables face aux chevaux.

Philippe fit quelques signes de mains, et la Flèche décida de sauter de sa monture, arbalète en main, le dos voûté. Il prend position près du lac, et décoche. Le carreau vient se loger dans le poulet en train de tremper son bec dans l'eau. Il hurle, du sang gicle comme un geyser, et il s'effondre.
Malheureusement, une autre des bêtes hurles, piaille un petit cri de poulet enragé, et fonce vers Malachite. Philippe sort son épée et écarte son cheval.

- Malachite ! Esquive !
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeDim 12 Juin - 16:02

Normalement les poulets géants posent pas de problème, mais parfois y a la petite connerie qui fait tout basculer. Un des cons d'animal décide de courir vers moi pour sauvagement me tuer, alors que je lui ai rien fait. C'est vif ces bêtes là, et ça a de méchants ergots. J'ai pas d'autre choix que d'utiliser l'ultime option de secours.

Je fais ça brutalement, j'ai pas le temps pour le travail d'artiste. La bestiole fait un AVC immédiat. Quelque chose de tout petit explose dans son cerveau à cause du choc, et la bête s'écroule tout en spasmes à cinquante centimètres de mes pieds. C'est pas très agréable pour moi non plus : j'étais aux premières loges pour voir le résultat. Dans mon village on m'a appris à rentrer très doucement dans l'esprit d'un animal, pour pas le déranger. On s'en sert pour savoir quand une chèvre est malade ou prête à mettre bas, des trucs comme ça. Si la bestiole meurt pendant l'intervention, on crève un peu avec elle. Là je me retire immédiatement après l'agression du poulet géant, pour pas subir l'agonie, comme un connard qui s'en fout. J'suis devenu très pragmatique depuis que je suis parti. Et le frère de Tourres m'a bien expliqué qu'on ne peut pas subir trop de souffrance au nom de la Quête. Calanthe passe avant tout. A la limite, c'est faire un peu de mal pour répandre beaucoup de bien après. Ca tombe sous le sens quand on y réfléchit.

Je me frotte le visage avec les mains pour enlever les mouches que j'ai devant les yeux. Faut repartir. Je suis tombé sur les fesses en allant prendre possession d'un autre corps comme un sauvage. Et maintenant il me reste à gérer la partie la plus pénible du processus : l'avis des calanthiens sur le sujet.

Le de Sarosse me saute dessus pour me relever en me tirant par le biceps. Il me fixe en fronçant les sourcils et en respirant fort par le nez. Il m'aime pas beaucoup. Je crois qu'il a tué largement sa part de locaux sur le chemin jusqu'ici, et qu'on lui a pas laissé un excellent souvenir. Et comme tous les gens de son espèce que j'ai déjà pu rencontrer, il se méfie beaucoup des vieilles pratiques. Est ce que c'est ma faute si je suis né dans un village tout pourri de pécore où on fait encore ce genre de chose ? Putain ! Moi j'aurais voulu être dans une grande ville, avoir des fringues classes et des pièces de théâtre partout, pas surveiller des saloperies de chèvres en utilisant des techniques de vieille. J'ai entendu des histoires pas possible sur des mecs attaqués par des hordes d'ours, des ours plus intelligents que des animaux normaux, et qui ont pas peur du feu. Je vois pas comment c'est possible. Faut la trouver, la horde d'ours à posséder déjà. Y en a maximum deux ou trois par montagne, dont deux femelles avec des petits - les mâles ont un territoire plus étendu. Ca fait déjà une énorme expédition rien que pour une dizaine d'ours. Puis faut les nourrir après.

Bon alors j'te vois venir hein. Les histoires sur les gens qui baisent en animal et tout. J'l'ai entendu dix milles fois celle là. C'est que pour une cérémonie religieuse tous les dix ans, et j'fais même plus ces conneries là depuis que j'ai vu la Lumière du Vrai Dieu, alors hein. Ta gueule.

Le noble continue de me fixer, puis me lâche. Si il m'accuse franchement il va devoir me mettre à mort, et je sais pas pourquoi mais ça le gêne d'affronter frère de Tourres frontalement sur ce terrain là. Faut dire qu'il y a que des métèques dans le groupe qui savent traverser le désert Rouge : moi et mes deux copains. J'crois que ça serait très pénible pour tout le monde si on avait un débat entre respecter la moral et la nécessité absolue d'arriver jusqu'au sang magique là. En plus j'voudrais pas dire mais j'suis très calé en chèvres, qu'elles soient blanches ou non, j'suis presque surqualifié pour la mission. Alors merde.

Je croise le regard de Marie - qui avait il y a même pas deux mois un prénom beaucoup moins recommandable. J'ai dit à frère de Tourres qu'il fallait voyager avec elle parce qu'elle était sourcière. C'est des conneries. Je voulais juste avoir du réconfort moral de type sexuel pendant le voyage. Elle parle pas beaucoup mais elle me rejette pas non plus. Et c'est vrai qu'elle connait l'emplacement d'un tas de sources dans le désert, vu qu'elle vit normalement à coté. Le problème c'est qu'elle connait pas la langue des autres, elle parle uniquement un vieux patois de pécore qui me fout la honte. J'dois lui rappeler un coup sur deux de pas saluer les cairn sur le chemin. Il va nous détruire le de Sarosse si il nous chope à faire ça.

L'autre mec je le connais pas, on l'a ramassé à la dernière minute. Le gros avantage c'est qu'il se balade avec deux chèvres en laisse et une incroyable provision de bouffe. Il m'a déjà donné un biscuit. Mon coeur lui est acquis à jamais donc. Mais bref.

Je repas au devant du groupe. Je traverse le pont au dessus du petit canyon, qui marque l'entrée du désert Rouge. Il s'appelle comme ça parce que c'est pas un désert de sable, mais de rochers couleur sang séché. Y a des saloperies de montagnes et de falaises partout, on peut tourner en rond pour l'éternité là dedans. Je l'ai traversé une fois, dans l'autre sens, pour me débarrasser d'une sombre histoire de dette qui n'intéresse personne. J'étais plus jeune, j'avais pas l'habitude des animaux locaux, j'ai failli crever. Mais c'est soit passer par là, soit faire un putain de détour pour passer par la côte et se taper tous les chieurs sur la route. Les esclavagistes, les extrêmistes religieux, tout.

Je lève le nez. Y a une horde d'"anges" qui passent. Ils ont l'air triste. On sait pas vraiment ce que c'est, ni où ils vont. Personne ne les a jamais vu se poser. En tous cas c'est pas un très bon présage de les voir tirer la gueule. J'ai un vieux frisson. C'est qu'ils ont pas l'air super sympa, les "anges". Ils ont les mêmes traits que sur les statuts des églises, avec de grands yeux vides et révulsés et une expression super intense de martyr au supplice. Y a pas longtemps j'ai fait un cauchemar où une bande de ces saloperies passaient au dessus de moi, et tournaient leurs regards vers le mien, j'ai failli me pisser dessus. Ce rêve me trotte encore en tête alors je surveille que les monstres passent sans me regarder.

Marie me fait sursauter en arrivant dans mon dos pendant que je fixai le ciel comme un con.

- Y a le de Sarosse qui parle avec ton chef, il a l'air pas content. Faudrait que tu viennes pour comprendre ce qu'ils disent.

- Ah mais tu fais chier aussi ! Tu nous fais passer pour des cons chaque fois que tu parles comme les vieux là. Moi j'ai trop honte sérieux. Faut que tu t'y mettes et que t'apprennes, c'est pas dur.

Elle hausse les épaules et continue à me suivre en silence. Mais rapidement on enchaîne sur un débat fou entre les biscuits au dattes et les biscuits au miel. On aime bien parler ce qu'on va manger.
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Thomas Dole
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeDim 12 Juin - 17:13

- Démon ! Un démon !

Bohémont hurlait, il hurlait. Il avait sauté de son cheval, regardé Malachite dans les yeux, avant de foncer vers frère Philippe pour lui hurler dessus.

- Frère ! Frère ! C'est un démon ! Ce sarrasin n'est pas simplement un apostat et un impie, c'est un putain de mage !

- Calmez-vous, frère Bohémont !

Philippe avait retiré ses étriers et avait sauté à terre lui-aussi. Pendant ce temps, Malachite traversait le pont.
Devant eux, l'agripède avait fuit, vomissant ses entrailles, de nouveaux vers le lac.

- De quoi parlez-vous donc ?
- Je l'ai vu ! Le métèque, Malachite ! Il a regardé le poulet dans les yeux, et il est tombé !
- Vous délirez, frère Bohémont.
- Non, je ne délire pas ! C'est de la sorcellerie !
- La sorcellerie n'existe plus, dit le médecin. Même les muharibs les ont pourchassés et exterminés.
- Il faut le tuer ! Et vite !

Armé de son épée, Bohémont avait foncé vers le pont, sous les yeux ébahis de la Flèche et du reste des Hospitaliers. Il allait tuer Malachite.
Malheureusement, Philippe avait lui aussi observé le poulet. Et il ne savait que faire. La magie, oui, c'était un crime grave, mais cela remonte à tellement loin... Croisés, muharibs ; Fidèles de Calanthe, fidèles de Kassem, qu'importe. Tous craignaient ces gens qui utilisaient des pouvoirs occultes, qui remettaient en cause les Saintes-Ecritures de par et d'autre de la mer. Tous, exterminés. Alors, un sorcier, en l'an de grâce 1187, Philippe n'y croyait pas trop.
Mais qu'importe. Bohémont fonçait sur le pont avec une épée. Il s'approcha des deux métèques qui baragouinaient dans leur patois de nomades, et souleva son épée.

- DEUS VULT !
- Bohémont ! Non !

Son épée fendit l'air, et Malachite ne put que l'esquiver par chance.

- JE VAIS TE POURFENDRE !

Philippe tentait de le rattraper en courant, d'arrêter le chevalier de Sarosse, qui, mué par une mission divine, tentait de courir, à pied, pour attraper le jeune sorcier.
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeDim 12 Juin - 18:59

Il est derrière moi. Il court vite. Putain. Je me suis un peu fait pipi dessus. Faut me comprendre, la seconde d'avant j'étais en train de parler de gâteaux, celle d'après un chevalier fou, l'écume aux lèvres, armait son bras pour mettre un terme à ma minable existence. Je pensais que la meilleure stratégie était de nier en bloc l'idée même qu'un sorcier puisse être parmi nous. J'avais tort. C'est la première fois que quelqu'un me soupçonne franchement d'en être un, j'vois maintenant à quel point il est capital d'être discret. 'fin j'en tiendrais compte si je survis aux cinq prochaines minutes, déjà.

L'homme court vite, ça fait longtemps qu'il cherche un prétexte pour me faire du mal, et il en a enfin trouvé un en or massif. Il va pas le lâcher comme ça. Il me hurle de venir à son pied comme un chien, et je suis pas assez fou pour le faire. Il est bien meilleur que moi à l'épée en plus. Moi j'ai tout appris sur le tas, et j'ai une arme tellement pourrie que j'arrive à la plier sur mon genou. Pas lui. Je le tenterai même pas.
J'engage une trajectoire en courbe pour rejoindre le seul qui peut m'aider dans cette folie : le frère de Tourres. Bohémont osera pas planter sa lame dans la margoulette d'un noble. Non ? Cela dit, le frère hospitalier est pas forcément de mon coté non plus. A ce que j'en ai compris, mes origines païennes me rendent forcément plus pêcheur par faiblesse naturelle. C'est pas dans mon éducation d'être un humain décent après tout. Des fois je me sens sincèrement honteux pour des raisons qui m'apparaissent pourtant très obscur, mais frère de Tourres est doué pour les serments inspirants. Ca ira mieux quand j'aurais fait assez d'effort, normalement.

Je finis ma course dans un freinage désespéré derrière mon chef. Je me cache comme un gamin, voilà. Mais j'ai pas tellement d'alternative. Bohémont il a la vie qui vaut plus. Je peux rien faire contre ça. Il court autour pour essayer de m'attraper pendant que je supplie hystériquement pour qu'il m'épargne, que je suis pas un sorcier. Frère de Tourres essaye aussi de l'arrêter. Ma réaction manque de dignité, je l'admets, mais j'ai vraiment pas le choix. Un muharib perçu comme une menace, c'est un mort sur patte. J'ai déjà eu des problèmes juste pour ce que les Calathiens considéraient comme un excès d'assurance. On ne plaisante pas avec ces gens là sur la soumission. Ils sont chez eux ici.

- Messire ! J'suis pas un sorcier ! J'vous en prie ! J'veux trouver la Chèvre Blanche ! J'veux tout apprendre sur Calanthe et tout !

Je sais pas pourquoi, mais les déclarations de foi ça marche bien sur les Calanthiens. Ils deviennent très méditatifs quand ils en entendent une, ils prennent le temps de réfléchir. A chaque fois. Je sais pas pourquoi ça marche comme ça, mais qui peut comprendre ces gens là hein ? Je me laisse quand même abjectement frapper un peu. Il peut pas juste admettre qu'il a eu tort et me laisser tranquille, j'allais pas échapper à une démonstration comme ça de toute façon. C'est le prix pour être nourri et blanchi par eux.

J'ai pas eu des expériences super heureuses niveau hébergement, jusque là. Je pensais que je me ferais plein d'amis en quittant mon village : j'avais tort. Les gens veulent tout obtenir de moi sauf de l'amitié. Jamais un vieux se serait amusé à me mettre un coup de pied pour rire dans mon village. Je serais p'tète mort puceau aussi. L'un dans l'autre je sais pas ce qui est le pire. J'me suis vraiment emmerdé ferme dans mon élevage de chèvre tu sais.

Le voyage a repris, sauf que je me suis mis plus loin devant pour bouder. Marie m'a rejoint. Ils sont pas forcément super sympa avec elle non plus. Mais elle elle est jamais vraiment sortie de sa cambrousse, alors elle a encore le costume complet du parfait petit sauvage et tout. C'est un appel à la maltraitance ça. Genre elle a des plumes dans les cheveux. Autant se balader avec un écriteau. Elle m'a dit qu'il y avait des soldats qui étaient venus par chez elle, et vu le bordel qu'ils foutaient bah tout le monde est parti dans toutes les directions en vitesse. Du coup elle elle a choisi de traverser le désert parce qu'il paraît que c'est plus calme là bas. J'suis pas sûr mais j'ai pas osé lui dire.

Donc on marche, c'est chiant. Des fois on fait des pauses mais on se remet à marcher ensuite. Je me repère grâce à ce que voient les oiseaux, mais je le dis pas. Je laisse les gens être impressionnés par mes talents. Tant que j'invoque pas des ours démons, ça devrait aller. Il fait très chaud. Mes fringues de calanthiens me grattent quand je sue trop dedans. Je m'ennuie. Au bout d'un moment on parle plus du tout parce qu'on est assommé par la chaleur. Je me laisser aller à voir par les yeux des petits lézards qui se cachent sous les rocher, des serpents. Ca m'occupe, parce que ça me demande beaucoup de concentration de pas les tuer dans le processus.

Et à un moment c'est moi qui ait failli mourir.
Un lézard gigantesque. Trop grand, trop intelligent pour moi. Je me suis retiré, mais j'ai failli m'évanouir avant d'y parvenir. Je me suis attrapé le crâne à deux mains et j'me suis mis à un peu saigner du nez. Maintenant je suis bon pour rêver que je vole et que je crache du feu pendant deux semaines. Mais ça c'est pas le plus préoccupant, encore.

J'attrape le bras de Marie pour courir en arrière. On rejoint le gros de la troupe à cheval ou en âne. Je dis qu'il faut passer ailleurs. C'est la première fois que je change d'avis sur une direction. Le dragon il est dans sa grotte là, et les dragons ça dort longtemps. Mais ils peuvent nous sentir, comme moi je sens les petits animaux. Et si il a faim...
J'explique que j'ai vu des traces de la créature. Béhémont se moque un peu mais ils font comme je dis. Eux ils ont plein de saints qui ont tué des dragons. Tuer des dragons c'est quasiment un sport national. Par chez nous on a plus des histoires de dragons qui arrivent dans le village, embarque toutes les vierges et repart comme il est venu pendant que tout le monde pleure sur les ruines calcinés des maisons. Mais ceux du désert doivent être beaucoup plus méchants.
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Thomas Dole
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeDim 12 Juin - 23:58

Bohémont a fait une syncope. Mais il s'est calmé. Il a rangé son épée, et comme tout homme rageant, il est devenu frustré. Il serre les dents, il force les poings, il veut tout massacrer. C'est comme un enfant qu'on envoie au coin parce qu'il a fait une bêtise ; Personne n'aime aller au coin, mais on est bien obligé. Son délire, parce que c'est ça que tout le monde croit, un délire, on le met sur le compte de la chaleur, on lui donne une rasade d'eau.
« Des sorcières, ah ah, vous êtes bête, sire ». Oui, on se moquerait de Bohémont dans son dos, de son délire, de sa folie passagère, de comment il avait sorti son épée pour agresser le pauvre Malachite qui avait professé sa foi. On en rira !

Sauf que Philippe, lui, ne riait pas. Non. Juché sur son destrier, rênes en main, son regard de pierre se dirige vers l'horizon, dans la direction du petit métèque qui marche tout devant avec ses fines jambes habituées à la marche. Et si c'était vrai ? Philippe était un homme intelligent, mais assez superstitieux tout de même. Tout le monde est superstitieux, bien sûr, mais un religieux un peu plus que les autres. Et si c'était vrai, donc ? Enculé. L'art occulte est quelque chose de grave. Gravissime. Dangereux. Cela remet en cause les écrits, et surtout, la plupart des mages utilisent leurs dons pour faire le mal. Ils attirent la haine et la mort. C'est pour cela qu'on les a mis au bûcher il y a plus d'un demi-millénaire.

Et on marchait. On marchait. Le médecin n'arrêtait pas de regarder partout, impressionné. Il observait le ciel tout bleu, il observait les montagnes rouge-sang, il observait les oiseaux et les rapaces croasser près des nuages.

- Cesse de regarder le soleil, petiot. Tu vas te brûler les yeux, grommelait la Flèche tout en prenant une gorgée de sa gourde.
- C'est magnifique...
- Magnifique, oui... Et dangereux, répondait le sergent Julien.
- A part les créatures sauvages, il y a quoi comme dangers ?
- Les bandits, répondait la Flèche.
- Les muharibs, ajoutait Bohémont.

Il y eut un court silence.

- Les muharibs attaquent souvent par ici ?
- Plus depuis la trêve instaurée par le Rex Bellator, expliquait Philippe. Mais c'est toujours compliqué les relations entre le Royaume d'Eden et les différents émirats autour.
- Ils sont bien plus nombreux que nous. Pourquoi n'attaquent-ils pas ?
- Parce qu'ils ne sont pas coordonnés. Et parce qu'ils ne sont pas tous d'accord sur notre éradication. Depuis la trêve, en fait, des relations se sont développées entre les seigneurs croisés et les émirs muharibs. Certains profitent de cette paix, de cet essor économique et culturel.
- Oh merde, le voilà repartit dans un débat... Soufflait Julien.
- Le Califat n'arrête pas d'appeler au « djihad », la guerre sainte pour libérer les villes qui ont une fois appartenu aux fidèles de Kassem. Pour eux, il n'y a pas d'autre Dieu que Allah et Kassem est son prophète. Mais voilà ; Le Grand-Vizir n'a pas le même pouvoir que l'Augure chez nous. En Borée, l'Augure est le chef tout-puissant de l’Église, quand il ordonne la Croisade, les Rois y vont. Le Grand-Vizir, c'est différent. Son pouvoir est très contesté, parce que les petits seigneurs muharibs ont tout autant de légitimité religieuse. Kassem était un chef de guerre, et ses descendants sont devenus sultans, émirs, califes. C'est comme si, pour comparer avec ce qu'on connaît, Calanthe avait été couronnée Reine et avait donné des duchés à ses enfants.
Donc, c'est pour ça que c'est compliqué de mettre en place un djihad. Et tant mieux. La paix est là. Muharibs et Calanthiens échangent, apprennent à se connaître. C'est mieux que se taper dessus à l'épée.

- Quand vous parlez comme ça, c'est limite niveau hérésie, frère Philippe.
- Je ne suis pas le seul à avoir ce genre d'opinions, Bohémont. De toute façon, le prophète Kassem et la foi muharib ont beaucoup en commun avec la nôtre. Ils prônent la pureté morale, ils veulent imposer la paix... Bon, je dois avouer, je n'aime pas leur religion. Qu'ils puissent être polygames, qu'ils puissent avoir tant de richesses, cela est très moyen comme raisonnement.
Mais au moins, ils anéantissent les païens et les mages tout autant que nous. On peut s'entendre avec eux. C'est mieux que d'envahir un territoire rempli de tarés qui sacrifient des animaux. C'est ce genre de païens qu'on voit en Longuejarrie, et c'est là qu'intervient l'Ordre Töterique, nos collègues.

- La Longuejarrie ?
- Là où il y a les fangeux, oui. Imaginez : Des monstres, des morts qui reviennent à la vie, capables de vous massacrer avec de gigantesques griffes...
- Là est la punition divine pour ceux qui refusent la vraie Foi !
- Dieu le Veut !
- Non Nobis Domine.

Ils auraient pu continuer à piailler des trucs théologiques longtemps. Mais Malachite revient et prévient qu'il y a un dragon dans le coin. Tout le monde agite la tête, et finalement, après quelques instants de réflexion, on décide de croire le métèque et de continuer par un autre chemin qu'il nous indique.
Et on est repartis de plus belle, tandis qu'au dessus, le soleil est en train de se coucher, le ciel devient rouge et le paysage est dégoulinant de sang. Tout le monde est fatigué. Tout le monde est à bout, surtout les animaux.
On s'arrête près d'un oasis que le Malachite a trouvé pour la nuit. Un endroit où les animaux peuvent boire, où on peut remplir les gourdes, où on peut dresser les temples. La tribu de Malachite était nomade, du coup, le gamin est un guide très utile, qui connaît des choses. On s'est installés, et on est prêts à passer la nuit.

Les hospitaliers sont répartis en deux jolies tentes. Malachite et ses camardes métèques dorment dans la leur. Une discrimination tout à faire tolérable. Avant de dormir, toutefois, tout le monde s'est réuni, mis les deux pieds à terre, liés les mains et fait une prière à Calanthe.
Philippe avait vite dormit comme une pierre. Enfoncé dans sa couche, recroquevillée, il avait eut un très bon repos, sans aucun rêve.

Le lendemain matin, en ouvrant sa tente, en revanche, la surprise fut de taille.

Une tempête de sable. Une putain de tempête de sable.

- Fait chier !

Un cataclysme chiant à l'extrême. Des morceaux de sables rentraient dans les vêtements, anéantissaient les yeux, faisaient tousser. Il fallait se couvrir le visage, couvrir les chevaux, et repartir à pied, en tirant les bêtes qui n'arrêtaient pas de crier. Il avait fallu tout reprendre les paquetages, fermer les tentes qui dégoulinaient de saleté maintenant, mettre à l'abri la nourriture et l'eau pour pas qu'elle se gâte, et maintenant, toutes les bêtes étaient chargées comme pas possible.

- Malachite ! Tire-nous d'ici !

Malheureusement, c'est difficile d'être guide lorsqu'il n'y a pas d'oiseaux qui volent dans le ciel.
Mais, après une heure à vagabonder dans le sable, à s'enfoncer dedans, à marcher hyper lentement sur les dunes, le métèque sentit une présence.
Le dragon.
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeLun 13 Juin - 13:52

J'essaye d'aider Tristan à se relever d'une branche en traître. On voit pas à deux mètres devant soi. Si ça se trouve ça fait une heure qu'on tourne en rond, pour ce que j'en sais. Tout ce qui est vivant est parti se cacher dans sous les rochers ou loin dans les montagnes, je me suis rarement senti aussi seul. Les insectes c'est complètement de la merde pour s'orienter, je pige rien à ce qu'ils voient. Personne aime posséder une mouche ou une merde du genre de toute façon, c'est pas du tout sexy. Nan ce qui est classe c'est de vivre dans un loup, un chat sauvage ou un faucon. Mais j'ai plus intérêt à faire ce genre de choses.

Je jette un regard anxieux au frère de Tourres. Il me fixe bizarrement de temps en temps depuis l'incident du poulet géant. Pour un Calanthiens pur souche, ce genre de pratique est pas du tout tolérable. Il m'a bien expliqué que tous les sorciers avaient été massacré un demi millénaire plus tôt. J'ai pas pu m'empêcher de poser des questions. C'est que moi et les gens de mon village, quoi qu'il en dise, sommes bien vivants. Pas très nombreux, certes, mais vivants. Je sais qu'il y a au moins un autre clan comme le notre qui erre plus au Nord-Ouest, on ne les croise que pour la fameuse cérémonie qui se déroule tous les dix ans. En tout, ça fait une petite centaine de personnes. Voilà pour l'intégralité des effectifs de sorciers dans la région. Pour ce que j'en sais.

Evidemment on vit comme des clodo et on dépérit. Dans le temps on pouvait échanger des trucs contre des soins aux animaux avec les humains aveugles, c'est plus le cas depuis longtemps. Jamais vu l'un d'eux venir chez nous en tout cas. C'est dur d'être nomade à l'ancienne quand tout le reste autour veut vous en empêcher. Moi je me suis usé la santé à leur expliquer qu'on devait s'adapter aux autres, quitte à vivre dans le secret parmi eux, ils m'ont répondu que j'étais trop jeune pour comprendre. Mais sans aller dans une grande ville et se mettre à porter des robes en dentelle ou je sais pas quoi, y avait déjà des trucs simples qu'on pouvait faire pour se faciliter la vie. Posséder les animaux pour les chasser, par exemple. Me demande pas pourquoi, mais c'est un grand tabou, comme l'inceste, de manger la chair dans laquelle on a vécu. On peut chasser sous forme animal mais pas ramener les proies à soi directement. Ca serait putain de pratique pourtant. On apporte un lapin à ses pieds sans se fatiguer et on a à peine qu'à se pencher pour le manger. Tiens, je pourrais le faire maintenant que je suis loin de tous ces bouseux. Je le fais pas parce que... parce que ça s'est jamais présenté, voilà. Mais je pourrais. N'importe quand.
Encore faut il que j'ai une nouvelle occasion dans ma vie de manger de la viande.

J'avais jamais, jamais senti un dragon éveillé. J'ai failli me mettre à pleurer. C'est comme sentir une chaîne de montagnes ou le soleil en entier dans sa tête.

- ... rir...

Tout le monde me regarde parce que je me suis arrêté brusquement pour regarder le ciel dans tous les sens comme un fou et dire une unique syllabe, à bout de souffle. En tous cas ça a l'air grave.

- FAUT COURIR PUTAIN.

Je prends par les rennes le premier cheval qui me tombe sous la main et je cours vers ce qui ressemble à du relief. Une cachette, une putain de cachette. A cinq mètres devant moi, tout ce qui vivant sous le sable est tombé raide mort parce que j'ai cherché trop vite pour eux. C'était pas très agréable. On apprend à ne pas faire ce genre de conneries dans la panique quand on est jeune, mais j'ai fugué trop tôt et... c'est loin tout ça. Des fois j'ai encore des réflexes de bébé, genre tuer tous les insectes dans le périmètre parce que j'ai peur. Enfin j'ai pas le temps de pleurer pour mes amis de la nature et tout ça, parce que je suis trop occupé à courir en osant pas me retourner.

Ce qu'il nous faudrait c'est une belle grotte, bien profonde, où un dragon ne peut pas se faufiler, et qui fait un coude pour pas qu'il puisse nous brûler. Mais mère nature est une pute et ne prévoit pas ce genre de facilité à proximité immédiate. Ce que je trouve de mieux nous oblige à laisser les chevaux derrière nous. Et pour l'instant, personne mis à part moi n'a vu ou entendu le fameux dragon. Moi je sais qu'il nous regarde. Il le fait pas avec ses yeux, c'est tout. Avec ses pouvoirs il sait probablement déjà combien on a de sucre dans le sang et si quelqu'un a quelque chose de toxique sur lui.

Je dessangle les chevaux super vite pour que le dragon embarque pas nos affaires avec. Bohémont commence à s'énerver. Il ose pas me pousser franchement, parce qu'on parle d'un dragon quand même, mais il met fortement en doute ce que j'ai "vu". Il attribue ça à mes superstitions de métèque.

- Mais il faut qu'on aille là dedans ! Je vous jure ! Si j'ai tort vous pouvez faire ce que vous voulez de moi après !

Il me laisse quand même pousser à quatre pattes nos affaires dans la minuscule grotte. Marie et le vieux avec les deux chèvres me suivent super vite. Faut pas être trop gros pour rentrer. Les Cathanliens prennent le temps d'attacher les chevaux avant. Ils savent pas qu'ils sont déjà morts, qu'on a plus de chevaux en fait. Le dragon a faim.
L'intérieur est pas super confort pour autant de personnes en fait. Je me retrouve coincé tout au fond avec les fesses de la chèvre devant moi, le vieux qui colle sa cuisse contre la mienne à ma droite et l'arc de Tristan qui me rentre dans l'épaule. Béhémont arrête pas de râler. Ca plombe l'ambiance. Pendant cinq minutes il va crescendo sur les arguments à propos de la bêtise des locaux. Il va d'exemple historique en proverbes de son pays en faisant un détour par la biologie pour expliquer notre faiblesse native. Les autres Calanthiens commencent à avoir envie de sortir. J'ai l'air d'un con. Même mes collègues métèques commencent à discourir sur les effets du soleil sur un cerveau fatigué et que j'suis quand même jeune pour guider tout ce monde aussi longtemps. Au bout d'un moment je me contente de bouder, les gens ramassent leurs affaires pour sortir à reculons et à quatre pattes - en râlant d'avoir à le faire.

A ce moment là le toubib remarque qu'il a un scorpion mort à cinq centimètres de sa main. Je sais que la grotte est remplie de scorpions morts, j'ai pas jugé utile de le dire, c'est tout. Ca a encore fait un tas d'histoires, Béhémont a gêné tout le monde en réussissant l'exploit de souplesse de me mettre un coup de pied en étant à quatre pattes.

Le bruit de quelque chose de massif se réceptionnant avec beaucoup de douceur fait résonner les pierres autour de nous.
La chèvre et Tristan se sont mis à se pisser dessus en même temps. J'en ai un peu dans les cheveux.

On voit rien parce qu'il y a du bordel de buisson et de cailloux devant l'entrée. Mais on entend respirer quelque chose de très gros. Moi j'ai l'impression d'avoir le visage à cinq centimètres d'un incendie, je me recroqueville dans un coin et je tremble.
Et on entend le massacre des chevaux.
C'est très long et ça crie beaucoup. C'est surtout le bruit de viande mâchée et déglutie qui est pénible. Y a un peu de sang qui coule vers nous. Même les chèvres restent tranquille et ferment leur gueule. Puis y un gros silence.

On finit par entendre un grognement curieux. Un genre de toux très très très asthmatique. Moi je connais la fonction de ce bruit : c'est un rire.

Et là mon esprit est envahi d'images de dragon en train de manger des gens. Le plaisir qu'il y prend est très manifeste. Il voit nos maisons comme des espèces d'emballages de fast food, les animaux d'élevage comme des apéricubes. Là il aimerait bien taper dans le plat principal, mais ça l'amuse de me le faire savoir avant. Il arrive pas à me parler clairement parce que je suis un singe à peine descendu de son arbre, mais l'idée générale est assez limpide. C'est un vieux dragon. Il a dévoré beaucoup de gens. Il aime bien me montrer aussi comment il a appris à ses petits à bien manger équilibré en leur balançant des humains élevés au grand air. Mais c'est Béhémont qui pète un câble.

- Le métèque il... il... il me montre des dragons dans ma tête ! Il faut le tuer ! C'est lui qui l'a fait venir !

Et là il marmonne une citation latine qui veut dire en gros "oh seigneur j'ai vu un truc vraiment flippant, fais quelque chose". Il a pas l'air dans la fraîcheur. Putain, il entend aussi le dragon ! C'était bien le moment de se découvrir un talent latent. Enfin ça l'empêche pas de se débattre pour m'atteindre et essayer de me massacrer. Se faisant, il pousse du pied Marie vers la sortie. Pas beaucoup, trente centimètres.

Une griffe immense, attachée à une main trop grosse pour rentrer, avance avec la délicatesse d'une patte de chat. Elle va accrocher sa pointe dans les vêtements de la jeune femme et se retire avec sa proie dans une rapidité toute reptilienne. On entend pas un cri. Juste un bruit de déglutition gigantesque. Puis de nouveau cet espèce de grognement ressemblant à une toux.
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeLun 13 Juin - 17:51

Philippe n'avait même pas eut le temps d'étendre sa main pour essayer de retenir la jeune fille. Elle avait été aspirée. Aspirée, oui, c'était le mot : Engloutie, comme ça, et soudain elle n'était plus. Tout le monde était sous le choc. Frère Philippe s'était replié, il était blanc, livide, des gouttes de sueurs grosses comme des doigts coulaient de son front et de ses tempes. Il se retournait, paniqué, et poussa Bohémont en hurlant.

- Calmez-vous ! Calmez-vous, Nom de Dieu ! Fermez-tous vos gueules ! Bordel ! MERDE !

Il avait envie de hurler. De hurler. Il était attaqué par la rage et la peur, et mélangé, cela ne donnait pas de jolies choses. Ils étaient abandonnés. Au fond d'un trou, au milieu d'une tempête de sable, et tout le monde autour de lui était en train de paniquer ; Or, quand plein de gens paniquent autour de vous, ça vous fait juste encore plus paniquer, c'est bon pour personne. Cela pue.

- On fait quoi ? On fait quoi ! Hurlait le médecin.
- Nous tenons position, dit Philippe d'une voix grave et tonnante, comme s'il sonnait le glas.
- Frère... Qu'est-ce que vous venez de dire ?! Hurlait Julien à son tour, en attrapant le mantel du vieux.
- Vous m'avez entendu... Reprit frère de Tourres en jetant son regard de pierre sur son jeune sergent ; Nous tenons position. Je suis las de cette lutte sans espoir. Il y a un dragon là-dehors. Un seul pas dehors signifierait notre mort. Et quand bien même nous tenterions vainement de lutter contre la bête au milieu d'un cataclysme sableux, nous ne pourrions nous enfuir. Alors, nous tenons position. Nous dormons ici. Et nous nous adresserons à la situation demain matin.


Il y eut des disputes, bien sûr. Bohémont était au bord de la panique, le médecin était fou, mais la Flèche calma tout le monde en hurlant. Avec ses cheveux blond, sa grosse barbe et sa large cicatrice sur la joue, Tristan la Flèche forçait le respect. Tout le monde s'était calmé, avait sorti des couvertures, et on décida de rester ici.
Une journée entière.
Une journée entière à attendre au fond de la grotte. Une journée, à boire, manger, à rester silencieux tendis que dehors on entendait le dragon souffler. A chaque fois que quelqu'un se proposait pour sortir, Bohémont se mettait à hurler, à dire que le monstre attendait, qu'il était encore ici. Il pouvait sentir sa présence...

Alors la nuit était arrivée. Froide et lugubre, comme toutes les nuits dans le désert. Mais la tempête de poussière s'était calmée. Dehors, tout était calme, tout était dégagé, et ce le serait pour la semaine entière. On pourrait continuer jusqu'au château de Thomas à pied.
Philippe ne dormait pas. Il restait allongé, entre Malachite et Tristan, tout le monde écrasé entre eux, tremblant et grelottant de froids. Il fallait se toucher et se frotter mutuellement, sous une toile de tente sableuse qui recouvrait les corps de tout le monde. Il caillait... Il caillait tellement... Mais au moins ils étaient en sécurité.
Ah, il avait fallu faire ses besoins. Heureusement qu'ils étaient tous des hommes ; Ils pouvaient se lever et pisser vers la sortie. Pour chier, il fallait se retenir, penser à autre chose. Qu'importe. Même avec le sommeil léger, même à juste se reposer avec un œil ouvert, tout était bien.

Tout était bien, jusqu'à minuit. Jusqu'à ce que Bohémont se mit à trembler dans son sommeil. Jusqu'à ce qu'il se mit à délirer, à hurler de prières, en latin ou en agrançais, et puis soudain, à ouvrir les yeux. Des yeux aux pupilles dilatées.
Il attrapa son heaume et recouvrit sa tête. Il se souleva et sortit l'épée de son fourreau. Julien tenta de le retenir, mais c'était trop tard. Il avait fuit dehors en hurlant.

- MONTJOIE ! SAINT-LEON !

Il avait sauté dehors, et on avait entendu des hurlements, et un crachat de flammes. Dehors, il y avait un gigantesque incendie, qui réchauffait tout de suite la cave. Philippe s'était levé en second, et avait lui aussi prit ses armes.

- Quel taré !
Tout le monde en armes ! Allez, dehors !


Combattre un dragon, alors qu'ils n'étaient que des hommes fatigués et peu armés. Au moins, ce serait une belle mort. Philippe se jeta dehors, et il vit quelque chose d'incroyable.
Bohémont était en vie. Il avait fait une roulade à travers les flammes, mais son vêtement n'avait pas prit feu. Il agita sa lame, faisant peur au dragon qui hurlait devant. Il était juste sous lui ! Il enfonçait l'acier de son épée juste au fond de la gorge de la bête, en hurlant. En hurlant des choses... Dans une langue étrange.
Du latin ? Non, non, ce n'était pas la langue de l'Empire du Caldéra... C'était... Autre chose. Autre chose de bizarre. De fou. Guttural.
Malachite, lui, pouvait comprendre. Il pouvait comprendre les folies que Bohémont était en train de déblatérer. Cela parlait de l'Apocalypse, de l'Apocalypse annoncée par Saint-Alceste, de comment la mort et la Fange iraient assombrir le monde, que les fidèles de Calanthe et de Kassem tomberaient tout deux, que le monde sera fait place nette, et que Pandore, fille maudite de la Prophète, régnerait sur un Empire de mort et de destruction.

Mais ça c'était impossible pour le groupe de savoir ça. Bohémont était en train de faire arracher les entrailles de la bête. Celle-ci était blessée, meurtrie, et s'envola pour s'échapper. Elle se repliait, elle bâtait en retraite, regagnant les cieux noirs, illuminés simplement par une vieille lune. Du sang tombait en abondance sur le sol et le sable, le dragon semblait à l'article de la mort.

Et le chevalier de Sarosse, lui, le grand homme aux cheveux noirs, à la face glabre et aux beaux yeux verts, le voilà qu'il s'écrasait comme une pierre, tombant sur le ventre. Philippe fonça vers lui, s'agenouilla, lui retirait son casque, et...
Et ses yeux étaient révulsés. Totalement révulsés. On n'en voyait que le blanc.

- Il respire encore !

Il n'était pas mort, mais... Il n'était plus là. Il était en train de contrôler quelque chose.
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeMer 15 Juin - 23:15

On l'a traîné plusieurs heures, puis on l'a posé dans un coin le temps de monter le camp. Avec la nuit chiante qu'on a passé, on a pas fait beaucoup de chemin aujourd'hui. Surtout les vieux du groupe, ils avaient des sales crampes d'être resté planqué dans la grotte. Les chevaux sont morts en plus, il faut trimbaler tout le matos. Le mec avec les deux chèvres il a failli nous claquer entre les pattes. Moi j'ai juste titubé avec la migraine. J'ai pas beaucoup dormi, le dragon a trop parlé. Et je suis de corvée pour traîner la civière de l'autre con.

Moi j'étais pas pour qu'on l'embarque, mais j'ai rien dit évidemment. J'aurais eu l'air mesquin. C'est vrai qu'il a pas l'air mourant, une fois qu'on s'est habitué aux yeux. Il respire bien, il a une couleur normal. Il est juste... pas là. Moi je sais où il est. Toujours le même problème : je peux pas le dire. Mais j'ai une bonne raison de vouloir le balancer dans une ornière. C'est pas pour rien que je me suis pas précipité pour faire un tour dans la tête du dragon. C'est pas sain de faire des trucs comme ça. J'me souviens plus pourquoi, parce que j'ai pas écouté quand on me l'a expliqué parce que j'm'en fous de ces trucs de bonne femme, mais c'est quand même pas bien.

Ce soir là, on a pas parlé du tout. On a mangé très vite fait et on est tous allé se rouler en boule dans notre coin. La belle au bois dormant gît dans la tente la plus confortable. Moi j'essaye de me faire rentrer tout entier sous une peau de chèvre qui sent le pipi. J'ai réussi à dormir seulement par épuisement total : l'anxiété de savoir un truc capital et de pas pouvoir le dire me rend fou. D'habitude c'est le frère de Tourres qui sait les trucs importants. J'ai pas envie de trimbaler un cadavre en puissance une journée de plus ! J'ai les épaules en miettes là.

Quand je dors je reste pas dans mon corps. J'en fais pas exprès, c'est à moitié conscient. Normalement c'est un réflexe qui s'estompe en vieillissant mais... ben j'ai pas suivi l'enseignement du truc jusqu'au bout. Du coup j'me balade comme un bébé dans le corps d'un lièvre qui fait ben... sa vie de lièvre. Je le regarde vivre. On va chercher des racines ensemble. C'est reposant.
A un moment se pointe un espèce de chien bourré. Il a l'air d'avoir fait du chemin. Sa fourrure est trempée et sale, il a des blessures aux pattes. Il titube bizarrement de droite à gauche. Puis il s'arrête, me fixe droit dans les yeux et se pisse dessus, sur les pattes arrières, sans bouger un poil. Comme ça.

Moi je comprends pas trop alors je reste à le regarder. Il pourrait aussi bien tomber raide mort sur place. Et si je me mets à courir ça peut l'énerver. Du coup on reste dix secondes à se regarder de façon pas du tout naturelle pour des animaux. Puis il me fonce dessus.

Je me suis réveillé en hurlant. La douleur fantôme de mon colon réduit en charpie disparaît tandis que je reviens à l'instant présent. Le vieux avec les deux chèvres s'est relevé très brusquement, vu qu'il est à coté de moi dans la tente. Les calanthiens sont venus voir aussi, en panique. J'ai balbutié le nom de Bohémont avant de garder le silence. Je me suis rappelé la réalité véritable. J'suis passé à deux doigts de dire des conneries. Puis à ce moment là j'ai pensé à la maison, à ma mère, des trucs comme ça. J'ai ensuite regardé ces visages de monsieur un peu austères parce qu'ils viennent d'être tirer du lit, penchés au dessus de mon couchage. J'me suis mis à chouiner un peu.

- C'était un cauchemar.

Les gens sont repartis. Le frère de Tourres m'a tapoté le crâne. Le vieux avec les deux chèvres m'a donné un biscuit. Je l'ai pas mangé tout de suite. J'ai réfléchi à m'enfuir. Mais j'ai pas eu le temps de pousser vraiment loin le concept de la chose : tout le monde s'est mis à courir partout parce que Bohémont s'est réveillé.

Ca a occupé tout le monde jusqu'au lever du soleil. Je suis pas allé voir, le vieux avec les deux chèvres non plus, mais on les a entendu discuter. L'ex-cadavre avait l'air ben... normal. Frais et dispo même. Dans une forme remarquable. Je me suis tétanisé sous la peau de chèvre qui sent le pipi. J'ai peur de partir et de ce que je vais croiser en m'éloignant des gens, j'ai peur de rester et de voir ce que ça va donner. Au stade où j'en suis je me cache sous la couverture et j'espère que le monstre va partir.

*
**

Il est devenu de plus en plus bizarre. Sans l'être vraiment. Il a pas franchi le cap de la franche folie, mais il fout des angoisses à tout le monde. Ses yeux coulent du pus jaune. Il s'en plaint pas, mais quand y a une mouche qui se pose dessus c'est vraiment un triste spectacle. Moi j'ai suivi frère de Tourres toute la journée quand Bohémont y était pas. Y a eu une interruption des cours de religion ces temps ci, mais j'me suis senti une furieuse envie de m'y remettre. C'est plus par envie d'écouter des histoires que par vide spirituel, j'admets. Il me fait le long et détaillé récit des raisons de la chute d'un Empire païen qui était par chez lui. Ca me distrait. Mais au bout d'un moment on marche en plein soleil, depuis longtemps, et le frère est fatigué. Il m'envoie prendre des nouvelles de Bohémont - une façon délicate de me demander de le surveiller. Il s'en fout de m'envoyer au casse-pipe. Je dis que je veux pas. Il hausse la voix. J'y vais.

Je sais que le toubib vient de passer une heure à marcher avec lui. Ca me rassure pas. Son comportement devant les calanthiens est pas fou, il est seulement... un peu excessif. Il rigole beaucoup. Il s'extasie sur le paysage. Et je me retrouve à le rejoindre, à une dizaine de mètre des autres, ce qui me semble très éloigné. On crapahute au milieu d'un champ de rocher. Il est tout devant parce qu'il sautille partout. Au moins si il m'attaque les autres le verront tout de suite. Malgré mes craintes, il se contente de se pencher vers moi et de me dire tout bas :

- Tu vas m'apprendre tes petits tours. Je n'arrive pas à retourner là bas. Le dragon ne m'a pas tout montré.
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeJeu 16 Juin - 1:29

- Il est bizarre le métèque.
- Il a toujours été bizarre, hein. Tu te rappelles la fois où on a été obligé de le secourir parce qu'il était coincé dans un arbre ?
- Pas faux.

Les deux sergents d'armes suivaient tout derrière, mains sur la garde de leurs épées, chargés comme des mulets. Ils portaient une énorme quantité de barda sur le dos, et devaient faire traîner le reste dans la poussière, au sol. Mais tout le monde était chargé de toute façon. Vivement qu'on atteigne un village...
Sauf que voilà. Le désert rouge n'avait pas de villages. Trop dur. Rien ne pousse dans cette région aride. Il y a pas de fer, pas de ressources. Rien, sinon de la pierre. Et même pas de la bonne pierre qu'on peut tailler ; Une sorte de poudre toute cassante et inutile. De la merde cet endroit. Les seuls qui passent ici, ce sont des nomades, et quelques caravaniers un peu fou qui veulent échapper aux péages seigneuriaux qui sont truffés sur les routes commerciales.

Mais pour l'instant, on marchait. Au moins avec Malachite, on pouvait se repérer. Et la situation n'était pas aussi horrible que ça. Au moins, ils étaient en vie. Ils avaient échappé à une attaque de dragon. Comment allaient-ils raconter ça ? Si ça se trouve personne allait les croire... Mais Bohémond était un héros. Un putain de héros. Déjà très respecté de ses frères hospitaliers, le voilà qu'il allait être relevé au rang de légende.
Saint-Georges était un tueur de dragons en Borée. Il en avait tué une vingtaine dans sa vie, il paraît. En réalité, il avait exagéré sa réputation, parce qu'il avait surtout tué des bébés dragons, de tous petits enfants à peine sortis des œufs de leur mère.

Philippe, en tout cas, était fier de Bohémond. Même s'il le craignait. Même s'il n'avait pas compris son délire, surtout son état complètement anormal à présent. Il l'observait de loin, à sautiller autour de Malachite. Le frère-chevalier ne pouvait se douter d'à quel point le cerveau de l'hospitalier était atteint.
Bohémond avait violé Malachite. Il l'avait violé dans son sommeil. Un viol zoophile tout particulièrement immonde. Il rejouait la scène dans son esprit. Lui, gigantesque canidé aux crocs acérés, au corps puissant et au sexe frétillant et animal, sa gueule dégoulinant de salive, d'entre ses dents jaunes, voilà qu'il entrait tout entier, directement dans l'anus fermé et étriqué d'un pauvre petit lapin. C'était immonde. Tellement immonde ! Du viol, sodomite, zoophile. Trois péchés graves en même temps. Il était dégoûté, Bohémond. Dégoûté qu'en même temps il était totalement excité. Il n'arrêtait pas de poser des questions sur Malachite. Sur son « don », sur comment il faisait pour contrôler les animaux. Et en même temps qu'il posait des questions sur un ton suave et graveleux, comme s'il draguait le pauvre métèque, il se mettait à vociférer des insultes, à menacer d'écorcher Malachite. Avec les dents. Il hurlait, levait les poings, puis ouvrait ses mains pour caresser la joue du garçon avec la paume de ses mains. C'était flippant. Impossible d'inventer chose plus flippante que cela.

Et ceci dura un jour. Puis deux. Toujours à marcher dans ce désert de poussière. Heureusement le temps était dégagé, et le dragon n'était pas revenu. Tout se passait bien. Tout se passait bien pour le groupe qui était pourvu en vivres et en eau. C'était moins bien pour Bohémond dont l'état n'arrêtait pas d'empirer. Il se grattait. Très souvent il se grattait. Et maintenant ses joues et ses avants-bras étaient rongés, à sang. Philippe avait tenté de le calmer, de parler avec lui, mais il se contentait de rire, et d'éluder les questions de son frère, lui disant juste qu'il était fatigué, qu'il faisait trop chaud, ce genre de mensonge bien facile... Il ne mangeait pas. Le soir il faisait semblant de manger, mais il ne terminait pas son assiette. Et il ne buvait pas beaucoup, il se contentait de prendre quelques gorgées pour ne pas crever de soif. Des fois, il avait la peau très blanche ; D'autres, toute rouge. C'était incroyable, il passait d'un état à un autre.
Et la nuit, il faisait des cauchemars. Des cauchemars horribles. Il se mettait à crier, à manger des cailloux, et à pleurer, à implorer pitié à Dieu et à sa fille Calanthe.

Plus que deux jours de marche avant d'atteindre non pas la grande ville de Samadina, mais de rejoindre la civilisation, en arrivant à un petit village près d'une rivière.

Bien sûr, vous vous en doutez bien, rien ne vas se passer comme prévu. Sinon, je n'arrêterais pas ma réponse ici.
On arrivait près d'un canyon. Un passage, au creux d'une montagne. Assez large pour que deux hommes passent côtes à côtes, un peu serrés quand même. C'était grand. Cela faisait un peu peur. Philippe levait les yeux au ciel. Il avait soif, et le soleil tout là-haut l'éblouissait. Mais il marchait en tête, avec une longue capuche blanche qui lui recouvrait la tête, dont sa sueur s'empreignait du tissus, et son surcot volait un peu et faisait claquer son très lourd haubert de protection.

- Bien, on va traverser et...

Il y eut une secousse. Une énorme secousse. Quelque chose était tombé de derrière les rochers. Et quelque chose s'approcha. La Flèche tira un trait de son carquois et se prépara à bander son arc.

- C'est ! C'est... C'est quoi ce truc ?!

Un monstre ! Un humain ? Un corps humain, nu, avec des tas de cheveux sur l'entre-jambe. Et sans tête. Haut de 3 mètres de haut, avec un seul gros œil au milieu du torse. Il portait dans ses mains un énorme gourdin, et bloquait l'entrée au passage dans les montagnes.
Mais il n'attaquait pas. Il restait planté là. Et derrière, deux copains s'approchaient.

Et il parla. Enfin, non, il ne pouvait pas parler, il n'avait pas de bouche. Mais... Il leva une main, et fit un petit signe, bougeant ses doigts comme des vagues.

- C'est... C'est quoi ce truc ? Demandait le toubib, terrifié.
- Je... Je sais pas, répondit Philippe ; J'en ai aucune idée. J'ai jamais lu quoi que ce soit sur ce genre de monstres, ni chez nous, ni chez les muharibs.

La bête tapa dans sa main avec le gourdin.

- On fait quoi ? On passe en force ? Sifflait Tristan entre ses dents.
- Ouais, non, ils ont l'air couverts de muscles, sergent... Non, heu... Malachite. Tu ne veux pas essayer de t'approcher, doucement ?
- Nan Philippe ! J'y vais ! J'y vais en tête !

Bohémont avait un sourire. Un sourire glauque, qui montrait toutes ses dents. Et il s'approcha, tout guilleret, du monstre devant lui.

- Bonjour, ogre ou démon ! Je suis sieur Bohémond de Sarosse, chevalier d'Agrance, frère ordonné de l'ordre des hospitaliers ! Et toi, qu'es-tu ?

Le monstre agita la main, comme pour faire coucou au chevalier.
Et immédiatement après, Bohémond sorti son épée pour lui trancher la main.
Les ogres derrière lui se mirent à faire du bruit. Du bruit qui sortait... Qui sortait d'où ? C'était bizarre. C'était trop, trop bizarre. C'était un cri de peur, des sortes d'ultra-sons. Mais voilà qu'ils courraient à l'aide de son ami, l'un d'eux terrassant Bohémond au loin d'un coup de gourdin.

- Attaquez-les !
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeJeu 16 Juin - 13:07

Bohémond m'a pincé les fesses en guise d'au revoir amical avant d'aller au devant du monstre. Mon univers entier s'est réduit au fait d'éviter ou de gérer le chevalier. La peur perpétuelle de me retrouver seul avec lui me possède complètement. Je ne dors plus, je n'arrive plus à réfléchir correctement. Je me contente de me crisper à son approche. Il me harcèle pour que je lui apprenne des choses, mais moi je suis un petit sorcier tout seul, j'ai pas le savoir faire des anciens. Il me demande des techniques que j'ai jamais vu faire, c'est sûrement le dragon qui lui a dit des conneries. Mais il est insistant. Si j'avais pu lui donner ce qu'il voulait, je l'aurais fait, mais je sais pas comment on apprend à un adulte qui se découvre ce sens là sur le tard. Les vieux de la tribu ils savaient faire. On jouait dehors, un vieux te faisait remarquer le joli plumage d'un oiseau dans un arbre, et hop ! Ils mettaient ton esprit dans le sien sans douleur, sans brusquerie. Je sais pas faire des choses pareilles, ça demande des années à maîtriser. Je sais pas comment apprendre à autrui à aller dans un animal. Après c'est comme marcher, c'est tout une affaire pour les gens autour mais moi je m'en souviens pas, ça s'est fait comme ça. Les vieux disaient que quelqu'un à qui on enseigne pas le truc, son esprit va se perdre tout seul dans un animal et il revient pas. Mais Bohémond a l'air plus que présent. Comment il s'en sortait avant ? Il devait bien avoir des problèmes. Des rêves trop réalistes d'une vie vécue ailleurs, des pertes de conscience. Peut être qu'il est orphelin. C'est pour ça qu'il savait pas qu'il était un sorcier. Je sais pas. Où c'est le dragon qui a foutu le bordel.

C'est là que le chevalier a coupé la main du monstre.

On a tous sursauté. L'horrible bête faisait coucou de la main, ils étaient à moins d'un mètre l'un de l'autre, aucune hostilité chez les deux camps. Ensuite ça a été le bordel. Le vieux avec les deux chèvres m'a tiré en arrière :

N'y va pas. C'est pas bien, pas bien du tout.

Il fronce les sourcils, l'air grave. Je lui ai encore jamais vu l'air aussi sérieux depuis qu'on voyage ensemble. D'habitude on dirait juste un petit vieux rigolard. Là c'est l'homme le plus intense du monde. Il reste debout avec sa main sur mon épaule, à regarder les calanthiens essayer de repousser les monstres et leurs gourdins. C'est des putain d'armes qu'ils ont. Même si ils ont pas de tête ils sont plus grands que nous, et les bouts de bois qu'ils tiennent sont facilement plus large que ma cuisse. Il leur suffit de foncer en agitant leurs machins devant eux, et de l'autre coté il sortira que de la purée d'humain. Ils ne le font pourtant pas. Ils ont l'air très préoccupé par leur copain qui saigne partout. Les calanthiens leur gueule dessus, de leur coté ils font beaucoup de bruit aussi.

Et là deux bras gigantesque me chopent par derrière. Une main se pose sur ma bouche. Je me débats. On me retourne. Je fais face à un des monstres, qui m'immobilise sans problème. Il est vraiment très grand et très costaud. J'aime pas que les poils de sa bite touchent mes jambes. Ca sent pas mauvais. Je me serais attendu à ce que ça sente la marée à cinq mètres tout autour d'eux, mais non. Et son oeil est gigantesque, et injecté de sang. Il approche mon visage de son torse. Je fais une ultime tentative pour lui mettre un coup de boule en plein dans l'orbite, mais j'ai jamais eu le genre de corps qui se prête bien au catch et je suis très fatigué. Je me mets à pleurer en attendant la mort.

Il y a quatre monstres qui sont arrivés par derrière. Un pour moi, un pour le vieux, et un pour chaque chèvre. Elles aussi ils les examinent très soigneusement, comme si ils n'en avaient jamais vu. Elles leur donnent plus de peine que les humains d'ailleurs, à se tortiller dans tous les sens avec leur agilité de chèvre. Un des monstre agite son gourdin en l'air pour faire peur à sa victime caprine, elle s'en bat les couilles. Terrifié, je vais me cacher dans un des animaux, pour ne pas sentir mon corps mourir. Je m'enfuis tellement que mon moi véritable s'évanouit, déserté par la moindre espèce de conscience. Je voudrais tellement m'en battre les couilles aussi ! Le grand monsieur sans tête il peut me tordre l'échine comme je le ferais avec un lapin. Je veux pas voir ça.

Les monstres font des tout petits bruits entre eux, que je comprends pas, pendant qu'ils nous examinent. Ce ne sont pas des animaux, je ne suis pas télépathe, leurs intentions m'échappent totalement. Ca dure pas très longtemps, les calanthiens ne se retournent même pas vers nous pendant leur "discussion". Puis ils reposent très doucement le vieux, les deux chèvres, et repartent en silence. Avec moi sous le bras.
On me laisse enfin hurler de terreur, je ne me gêne pas pour le faire. C'est encore pire qu'une mort rapide. Ils vont me faire n'importe quoi. Le vieux se met à brailler que le guide est kidnappé. Au même moment les monstres qui malmenaient les calanthiens se retirent aussi. Tout le monde reste con quelques secondes, je supplie de l'aide avec l'effroi de voir la distance entre moi et mes compagnons augmenter. Tout le monde court vers moi. Tristan arme une flèche.

C'est Bohémond le plus rapide. La douleur de son état le ralentie pas une seconde. Il tend les mains pour m'attraper en hurlant "il est à moi !". Par réflexe, j'ai préféré un mal inconnu à un mal connu alors j'me suis arrêté de beugler deux secondes pour lui mettre un coup de pied bien placé au visage, avec la latitude que me laisse deux monstres en train de de me porter comme si j'étais un tapis. L'autre nuit le chevalier est venu dans ma tente, il s'est tripoté à coté de moi en grognant. J'ai fait semblant de continuer de dormir. Je veux plus jamais entendre ces bruits là à nouveau. Peut être que si j'avais laissé Bohémont me rattraper, ça aurait pas tourné pareil. Mais j'ai été incapable de le faire. Du coup les monstres ont distancé tout le monde sans problème et ils m'ont trimbalé sur des kilomètres.

Ils courent dans le désert sans se fatiguer, sans suer. Je les entends pas respirer non plus. Je leur ai expliqué que j'étais vraiment pas intéressant, pas comestible, pas riche ni célèbre. Ils s'en foutent. J'ai fini par en conclure qu'ils allaient m'offrir en offrande à leur dieux maléfiques ou me donner à leurs petits pour leur apprendre à chasser. J'ai eu le temps d'imaginer dix milles fois toute les choses horribles qu'ils pourraient me faire. Leurs très longs poils au niveau de l'entrejambe m'inquiète beaucoup. J'ose pas deviner la fonction de la chose, ni ce que ça cache. J'ai déjà trop eu d'exotisme de ce coté là pour tout une vie. Et au bout d'un moment, quand tu te fais trimbaler sous le bras par des monstres horribles qui passent par des endroits qui foutraient le vertige à un oiseau en courant, tu perds un peu toute dignité. Je les ai supplié sur différents tons de chouineries de pas me faire toutes les choses horribles qu'ils comptaient me faire, que j'étais désolé pour leur copain qui s'est fait couper la main. J'suis devenu à moitié fou. Voire complètement.

Et on a fini par arriver dans... je sais pas. La folie furieuse. Je crois qu'à un moment je me suis endormi, ou évanoui d'épuisement, va savoir, et je me suis réveillé au royaume du n'importe quoi. Le ciel est d'un gris comme je n'en avais jamais vu, avec de gros nuages bas et lourds. Et le sol blanc. Complètement blanc. Il faisait horriblement froid, comme jamais j'ai eu froid dans ma vie. Le monstre me posa sur mes pieds, je suis tombé dans le blanc à cause de l'engourdissement de mes muscles. C'est le pire truc qui me soit jamais arrivé de ma vie, je me suis mis à hurler avec une énergie nouvelle. Mouillé, et surtout horriblement horriblement froid. Brûlé de froid.

Le monstre s'est mis à faire plein de bruits très aigus, m'a relevé, m'a fait signe d'avancer, m'a pris la main. Tout plutôt que de rester dans l'horrible chose blanche. Je l'ai suivi en titubant. Je savais pas qu'on pouvait avoir aussi mal à cause du froid. Et y a de cette saloperie partout, jusqu'à l'horizon. Je vais mourir. Ils vont me faire crapahuter là dedans jusqu'à ce que je meurs. Pourtant j'ai continué de les suivre. Tous les monstres me font des signes, m'entourent, m'encouragent. Maintenant il font des petits roucoulement qui font pas peur du tout.

Ca a duré je sais pas combien de temps. Toute ma peau me brûlait, mon visage, tout. Je sais pas pourquoi les monstres veulent plus me porter. Je leur ai réclamé, mais ils se sont contenté de me faire plus de signes de la main. Je suis tombé plusieurs fois. Puis y a un moment où j'ai arrêté de me relever.

Je me suis réveillé dans une... ben j'vais appeler ça forêt, mais c'est pas du tout une forêt. Y a pas des pins et des arbres tout secs bien comme il faut, là c'est tout d'un vert tendre, il fait humide mais chaud, la terre sent la bonne moisissure bien saine. Le ciel est bizarre, il me donne mal à la tête quand je le regarde trop longtemps. Plein d'étoiles, mais aucun à la bonne place. Il fait nuit mais pourtant j'y vois parfaitement bien, sans source de lumière discernable. Ca sent la nourriture en train de cuire, j'entends plein de roucoulements sans voir de monstre. Je suis allongé sur la plus jolie couverture que j'ai jamais vu, c'est plein de couleurs joyeuses et de broderie très fines. J'ai vraiment pas l'expérience en matière de couture, mais je sens que c'est le genre d'objet sur lequel je devrais pas avoir le droit d'être allongé.

Un des monstres m'approche, sorti de derrière un arbre avec la démarche silencieuse qu'ils ont tous. Je me roule en boule pour me protéger le visage avec les bras. J'suis épuisé, j'ai mal absolument partout, y a le bout de mes doigts qui est devenu tout bleu et qui me brûle comme l'enfer. J'peux plus faire autre chose que laisser la mort venir. Tout ça dépasse l'entendement. Mais le monstre se contente de poser une assiette de fruits à coté de moi, un ours en peluche et une seule et unique botte, un pied gauche, pointure 42 environs. Puis il se met à roucouler très doucement.

Certains de ses copains le rejoignent s'asseoir en tailleur en approchant très doucement, et en roucoulant eux aussi. Je découvre que les monstres ont aussi des enfants, du moins une version miniature des gros que j'ai déjà vu. Ils sont musclés comme les grands, leur ressemblent en tout point, ils sont juste plus petit. Et tous les yeux sont braqués sur moi. Le premier d'entre eux qui est venu me montre l'assiette de fruits du doigt. Il y en a que je connais, d'autres non. Un silence très lourd s'installe. Même la forêt fait pas de bruit. Je prends une datte entre mes doigts. Y a que l'oeil d'un seul "enfant" qui cligne. Comme j'ai faim je mange.
Tous les monstres se mettent d'un coup à applaudir, à sauter dans tous les sens, à se prendre dans les bras et à danser. J'ai failli mourir d'une crise cardiaque. C'est vrai que pour eux ça doit être un peu surnaturel de voir quelqu'un manger, vu qu'ils ont pas de tête. Je recule quand même de terreur à quatre pattes comme un con, même si ils manifestent beaucoup de joie. Le monstre qui m'a donné les fruits s'est mis à roucouler très fort et grave en faisant des signes avec les bras. Les autres se sont immédiatement calmés. J'ai compris à ce moment là qu'ils essayaient de me nourrir sans m'effrayer ni me faire du mal.

A partir de là les choses se sont... déroulées, c'est tout. En fait il n'existe pas de créature plus gentilles que les monstres sans tête avec les yeux sur le torse. Les premiers jours je n'ai fait que me reposer, manger, attendre que mes doigts cicatrisent. Je ne parlais pas la langue des monstres mais eux semblaient parfaitement me comprendre. Et ils n'avaient qu'un seul objectif dans leur vie : m'être agréable. Ils m'apportaient des objets au hasard, parfois très beau. Je sais pas d'où ils les sortent, mais l'ours en peluche j'ai jamais vu de jouet semblable. On dirait de la vraie fourrure ! Et le regard est très doux. J'ai fait semblant de jouer avec de peur qu'ils se vexent, ils étaient tout content. Du coup, pendant mon séjour chez les monstres, j'ai dormi avec un doudou.

Même dans ma tribu on a jamais fait preuve d'autant de bienveillance à mon égard. Faut dire que l'époque était pas à la douceur de vivre. Il fallait gérer, organiser, continuer le Voyage. Celui qui s'arrête jamais. Mais les locaux aiment pas les nomades, alors ils font des taxes, il faut trouver de l'argent, travailler, avoir faim, être de mauvaise humeur. Y a pas de mauvaise humeur chez les monstres. On joue tout le temps, on fabrique des jolies choses et on s'occupe de Malachite. J'ai tout oublié. Bohémond, le désert, les calanthiens qui sont prêts à me balancer au premier monstre venu, la peur, la douleur, la solitude. Tout s'est dilué dans le monde de vie paisible des monstres. Je sais pas où ils trouvent la bouffe et ce dont ils se servent pour leurs charmants bricolages, mais ça a arrêté de me préoccuper assez vite. Tout a arrêté de me préoccuper, en fait.

J'ai complètement régressé chez les monstres. Je crois que j'ai essayé de partir de la forêt, au début. Je me souviens plus. C'était impossible en tout cas. On revient toujours à son point de départ quand on marche au pif chez eux. Du coup je me suis juste coulé dans le moule. De toute façon l'adulte en moi n'avait rien à faire ici. Ils ont pas de femme monstre, par exemple. Je sais pas d'où viennent les petits monstres, mais ils ne s'accouplent pas. Il n'y a pas non plus de guerre à mener, pas de travail à faire, rien à découvrir. De temps en temps de nouveau objets arrivent, on joue avec, on s'en lasse au bout de quelques temps, puis il y a encore d'autres jouets qui apparaissent. Je sais pas combien de temps je suis resté là bas.

Un jour j'ai remarqué que tous les monstres faisaient le même type de roucoulement entre eux quand ils se tendent des choses. Ca ressemblait à un merci. Alors j'ai essayé de faire le même roucoulement avec ma gorge contrefaite d'humain, et ça a été la folie furieuse. Ils m'ont pris dans leurs bras et on a fait une fête encore plus ouf que toutes les autres fêtes qu'on a fait avant. Ils ont bricolé des petits lampions avec ce qui ressemblait à un papier fait en aile de papillon, et on a mangé plein de choses sucrées que je connais pas. A partir de là j'ai essayé de développer ma connaissance du langage des monstres.
Ca m'a ouvert de nouveaux horizons d'amusement. Puis j'en avais marre de ne pas avoir de vraies conversations. Soit je parlais pas, soit je racontais tout ce qui me passait par la tête dans le désespoir du manque d'amis. Ils m'on encouragé à roucouler aussi. Il y a pas mal de sons que je suis incapable de faire, mais je les comprends. Et tu sais ce qu'ils font ? Ils se racontent des histoires, tout le temps, les vieux les racontent au petit monstre. Je sais pas comment j'ai appris certains mots, mais je... je suis resté tellement longtemps là bas.

J'avais plein de questions à leur poser, du coup. J'ai pu avoir mes réponses en étendant mon vocabulaire. Je leur ai d'abord demandé d'où venaient les jouets, les couvertures, les pots de pigments, les pâtisseries. Ils m'ont dit que ça venait de la Plage. Moi j'ai pas le droit d'y aller ni d'y prendre quelque chose, mais eux si. La Plage apporte les objets qui n'appartiennent plus aux humains, ils n'en savent pas plus. Je leur ai demandé ensuite pourquoi ils étaient venus nous voir, notre groupe d'humains, à la base. Ils m'ont dit qu'ils voulaient nous empêcher de traverser les montagnes, mais qu'ils n'avaient pas prévu notre présence à Bohémond et à moi. Surtout Bohémond. L'amputation de leur ami les a affolé. D'ailleurs depuis ils lui parlent très respectueusement et c'est celui qui a le droit de passer le plus de temps avec moi. Me coiffer les cheveux ou me laisser dormir sur leurs genoux les plonge dans un amusement total. Moi j'ai plus du tout peur de leur poils à l'entrejambe et je vais me rouler comme un chat sur eux. Je t'ai dit que j'avais totalement régressé du cerveau chez les monstres.

Mais un jour j'ai posé la dernière question. Elle était inévitable, parce qu'elle devait rompre le sortilège. Je l'ai su avant de la poser, mais je l'ai posé quand même. Je leur a demandé pourquoi ils m'avaient embarqué :

Mais c'est toi qui a voulu venir ! Nous adorons les humains, mais nous n'en invitons pas souvent. Ce n'est pas bon pour vous, c'est... si tu restes ici, un jour tu seras très malheureux sans comprendre pourquoi. Vous avez besoin de... de choses qui ne sont pas ici. Nous ne les comprenons pas. Viens.

Il m'emmena dans un coin de la Forêt que j'ai jamais vu. Là il y avait une pile de cadavres, blancs, pas moisis ni rien. Comme si ils étaient morts il y a une seconde. J'ai accroché mes bras au ventre du monstre pour qu'il me protège de cette vision. Ca fait tellement longtemps que j'ai rien vu de vivant ou de mort ! J'ai eu peur, voilà. Certains des corps sont habillés comme des gens très très vieux, même si ils sont jeunes, et la plupart portent des peaux de bête.

Tu vois ? Ca n'a rien à faire ici ! On ne sait pas quoi en faire ! Toi tu es déjà resté tout longtemps.

Il m'éloigna des cadavres. Je ne les ai jamais revu après.

Tu es venu parce que... parce que tu étais jeune et.. acculé. Nous n'aimons pas voir des humains si... je ne sais pas. Parfois nous nous sentons obligé d'en ramasser un. C'est tout. Maintenant il est temps de rentré. Je suis désolé pour ce que tu vas vivre, mais nous te remercions de nous avoir amuser. Nous n'aurions pas dû te prendre.

Et la seconde d'après j'étais dans le désert rouge, dans les montagne. Le choc m'a fait tomber par terre. Quelque chose dans l'air était différent, insupportable, j'ai eu l'impression de me noyer. La vie s'est remise à battre à mes oreilles de toute ses forces. Des insectes, des oiseaux, une vieille lapine cachée sous un éboulis à cinq mètres de moi. Tout ça en même temps.
Je me suis relevé très doucement.
Je suis très sale, je porte les haillons de mes fringues de calanthiens. Mes bottes se désintègrent en morceaux autour de mes pieds, j'ai les tibias quasiment nus, il me manque une manche. Et le tissus est fin, rêche, en train de se désagréger comme si il avait mille ans. Mes cheveux m'arrivent aux reins, dans une masse folle et emmêlée, devant mes yeux, partout. Mes ongles - même ceux des pieds - font dix centimètres. Mais sinon je suis dans une forme éclatante. Les réserves de bouffe et le matos de campement que je portais, c'est plus qu'un tas de merde moisi à coté de moi. Je cligne stupidement des yeux pour m'adapter à la lumière trop violente, au sable qui vole partout. Il faisait toujours la bonne température dans la Forêt.

Et là je vois mon groupe surgir de derrière un tournant. Ils me voient :

- Oh seigneur ! Où tu étais depuis une semaine ? Comment tu t'en est sorti ? Tu... qu'est ce qui t'es arrivé ?! Qu'est ce que...

J'ai vu Bohémont, toujours vivant derrière eux. Il a le blanc des yeux complètement jaune, certaines de ses dents sont tombées et d'autres ont noirci, mais il me fait un grand sourire. Je me mis à pleurer et à réclamer les monstres. Tout ça dépasse totalement ma capacité à encaisser.
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeJeu 16 Juin - 17:15

Tout le monde était descendu de cheval pour aller chercher Malachite. A cheval, oui. Tout le monde avait trouvé des bêtes. « Tout le monde », cela incluait plus que les gens qui s'étaient séparés de Malachite, mais j'y reviendrai.

Philippe avait sauté de son destrier pour aller voir Malachite. Il s'arrêta un moment devant lui, lui toucha le visage, puis l'attrapa dans ses bras.

- Tu dois être mort de soif ! Viens, viens je vais t'aider !


Il l'approcha du convoi, tout fébrile. Parce que derrière lui, c'était tout un convoi. Tout un tas de gens à cheval, à mulet, ou à pied. Il y avait les hospitaliers, bien sûr, mais pas que. Il y avait aussi des militaires qui portaient sur leurs surcots d'autres insignes et décorations. Il y avait des valets et des domestiques, certains à la peau très blanche, d'autres au teint plus mat. Il y avait derrière eux des caravanes, des chariots remplis de nourriture et de biens.
Et tout au bout, un homme richement paré. Un petit garçon, jeune, beau, à la face rasée de près, portant de superbes vêtements de soie très fine.

- Qui est-ce, frère ?
- C'est mon guide, Malachite ! Il avait disparu, mais le voilà de retour, c'est un miracle ! Dieu soit loué !

Philippe l'approchait à l'abri du soleil, sous une sorte de gros parasol tenu par un domestique bien habillé. On lui apporta des fruits, des oranges gorgées d'eau. Mais le beau jeune homme, tout au bout, était descendu de cheval. En fait, il avait retiré ses étriers, et immédiatement, un valet s'était mis à quatre-pattes pour que son dos serve de marche pied. Il s'était approché, et avait observé, les sourcils arqués, le jeune Malachite.
Il ressemblait beaucoup à Philippe. En plus petit, en plus jeune, et avec les cheveux noirs et non blonds.

- Malachite ? Quel nom étrange. Même pour un muharib.

- Malachite n'est pas Al-Bushar. C'est un nomade, d'une autre ethnie.
- Oui. Oui je vois le genre. Des romanichels, le genre qui pullulent sur nos routes. Ils attirent les démons dans leur sillage, je ne les aimes pas.

Thomas de Tourres, époux de la comtesse de Cirilie, fit une pichenette à Malachite. Puis il repartit sur son cheval, tandis que Philippe posait une main paternelle sur son guide.

- Allez. On repart. Assez perdu de temps.

Philippe et Thomas montèrent tout devant, sur des chevaux, tandis que quelques valets aidèrent Malachite à s'installer sur une mule. Bohémond s'approcha. Il s'approcha tout près, avec un grand sourire.

- Bonjour Malachite... Tu m'as manqué... Tellement manqué...
- Bohémond ! Venez donc !

Le frère chevalier était repartit pour discuter. Ils parlèrent. De tout et de rien. De discussions trop éloignées du métèque pour qu'il puisse entendre. Il était tout au bout du convoi, avec Tristan et Julien qui le harcelaient de questions, qui lui demandaient où il était passé, s'il allait bien, et tout et tout. Ils n'avaient pas déliré. Ils avaient vu les monstres, de leurs propres yeux.
Mais personne ne les croirait jamais. Le désert rouge, on savait qu'il provoquait des hallucinations et des mirages.

- Voilà, messieurs dames. Bienvenue à Samadina.

Montés sur un gros rocher, le convoi avait une vue plongeante sur la route qui menait à la cité de Samadina.
Et elle était gigantesque. Tellement gigantesque.
Une ville côtière, avec un accès sur l'océan, dont on pouvait voir des tas de bâteaux, au moins une dizaine, partir à l'horizon. Des faubourgs, des tas de petits villages tout autour, avec des paysans qui travaillaient sur une terre fertile et riche en eau, si bien qu'on voyait de la végétation et de la verdure, tranchant complètement avec le désert. Et une cité. Une cité titanesque, avec une enceinte fortifiée toute autour, remplie de portes et de tours armées. C'était énorme. Et c'était une fourmillière. On voyait des tas de caravanes entrer et sortir, toute une foule qui grouillait partout. Et au fond, sur un gros rocher en hauteur, une autre enceinte, un donjon et des manoirs, l'endroit où devait vivre la comtesse et sa famille.
Jamais Malachite n'avait vu tant de monde réuni en un seul endroit. 60000 personnes vivaient à Samadina, ce qui n'en faisait que la 3e ville la plus peuplée de Terre-Sainte, mais c'était déjà énorme.

Le convoi descendit du rocher, et continua sa route vers la ville. Sur le chemin il y avait des gens. Des tas de gens. Des éleveurs de moutons et de chèvres, qui faisaient déplacer leurs bêtes vers l'une des portes pour aller échanger leur bétail sur le marché. Et puis, des gens qui travaillaient au champs. On était à la saison de la récolte, et on voyait des tas de sacs débordant de fruits. Une saison d'opulence. La trêve en vigueur depuis sept années avait permis de bien remplir les granges et les estomacs. On faisait aussi des épices, ici, qui seraient renvoyés par bateaux en Borée, où là-bas aussi tout se passait bien et on ne doutait pas que les blés seraient abondants.
C'était géant. Un véritable pays de Cocagne. Nul ne doutait ici que la faim n'existerait plus jamais, à part dans les livres de contes.

- Dis-moi Thomas... As-tu eut plus de malades ici ?

- Oui. Les hôpitaux en sont remplis. Mais nous les mettons sous quarantaine, et nous faisons très attention à la contagion. Ne t'inquiète pas. Nous appliquons les mesures que nous ont recommandées les hospitaliers.
Et à ma frontière, alors ?

- Des villages entiers sont en train de disparaître, car lorsqu'il y a des maladies, les gens migrent.
- Ne t'inquiète pas. Tout est sous contrôle.

« Tout est sous contrôle ». Cela ne sembla pas convaincre son grand frère hospitalier. Mais qu'importe. Voilà que le groupe allait atteindre Samadine. Devant la porte se tenaient des sergents du guet, des miliciens vêtus de broignes et portant de longues lances. Les murailles étaient grandes ouvertes et on pouvait librement accéder à l'intérieur, dans le bas-quartier. Les ruelles étaient plutôt propres et sèches, et il y avait une foule de monde totalement hétéroclite. Montés sur des estrades, quelques prêtres de Calanthe faisaient de gigantesques prêches pour convaincre les gens de se faire baptiser ; C'est que seuls 35% des habitants de Samadina priaient la prophète ; La majorité des habitants étaient encore fidèles à Kassem. Il n'y avait pas d'intolérance religieuse entre les deux camps, c'était dans les termes de la trêve du Rex Bellator, mais malgré tout, on tentait de les convertir. Cela ne marchait pas parfaitement, parce que dans le même temps, les mosquées continuaient de fonctionner. Oui, la trêve avait bien stipulé ça : Liberté de culte. Les seuls gens qui sont détestés de façon absolue et par tout le monde, c'est les chémèshes. Normal ; Bien que Calanthe était une chémèshe, elle avait été crucifiée par des rabbins qui l'avaient trahie, qui l'ont vendue à l'Empire. Et Kassem, lui, il a été empoissonné par une jolie chémèshe. Pourtant on ne les pendait plus, ces chémèshes, et pour cause ; Ils étaient banquiers et marchands.

Mais revenons à notre groupe. On lui faisait place, facilement. Malachite suivait le rythme, tandis que son ami, le vieux, parti vendre ses chèvres pour se faire de l'argent. La plupart du convoi se fractura et se sépara ainsi, au fur et à mesure qu'on remontait. Et Bohémond il était...
Etrange.

Il y avait des animaux partout. Partout. Des chevaux, des mules, des poulets, des moutons, des chèvres. Des tas de bêtes d'élevage. Il y avait même des chats qui rôdaient, et des rats. Il n'avait jamais été entouré d'autant d'animaux, partout. Il était paniqué. Il suait, des gouttes grosses comme des doigts dégoulinaient de ses tempes. Un moment, il tomba sur la nuque de son cheval, les yeux révulsés, puis se releva à nouveau. Il recommençait, trois, quatre, cinq fois. Il avait l'air de faire une syncope, en réalité, il n'arrêtait pas de prendre possession d'un animal quelconque, puis d'un autre, puis il revenait, et c'était impossible à contrôler. Il s'était mis à saigner du nez, et des yeux.

- Frère ?! Allez-vous bien ?!
- Eh ! Est-ce qu'il est malade ?! S'il est malade on le met en quarantaine, je le laisse pas entrer dans mon palais !
- Non, non, c'est impossible qu'il soit malade, on a pas du tout été en contact avec la maladie depuis une semaine !
- Et mon cul c'est du poulet ! On va le foutre à l'écart, je m'approche pas de lui !

On était arrivé près des portes, près de cette grande muraille intérieure, vieille et antique, bien moins protégée, de ce quartier qu'on appelait « l'Esplanade ». Il était ouvert à la populace. Simplement, il y avait une plus grande présence armée, et il fallait bien se tenir. On pouvait accéder librement au palais du comte, c'était une vieille tradition. Seules les pièces des administrations et les appartements privés étaient fermés au public.

On était descendus. Et Bohémond, on l'aidait à partir de son cheval, pour aller l'apporter à l'abri, au frais, dans une pièce acclimatée.

- Tes compagnons peuvent se reposer, Philippe. Toi et moi on a à parler.

- J'aimerai que Malachite m'accompagne, si ça ne te dérange pas.
- Oh ?

Il s'était arrêté, le beau Thomas. Il était juste un peu plus grand que Malachite. Petit il était le comte, ce qui lui donnait un aspect assez ridicule. Il avait des bras étriqués, un corps assez mince, et des mains toutes fines qui n'avaient jamais travaillées de leur vie. Et pourtant, il était l'un des seigneurs croisés les plus puissants et les plus influents. Pas par son titre ; Par sa femme.
Il n'était comte que grâce à sa femme.

- Eh bien. Soit. Qu'il vienne alors. Mais qu'il se décrasse d'abord.

Il claqua des doigts et s'éloigna. Aussitôt, des domestiques et des valets arrivèrent pour s'occuper de tout le monde.
Malachite était presque traîné vers une autre pièce. On le déshabilla, sans qu'il ne puisse rien dire, et on le jeta dans un grand bain chaud rempli de sels et de mousse. On le laissa tout seul un quart d'heures, le temps qu'il se décrasse et retire toutes ses saletés. On avait laissé derrière des serviettes et de beaux vêtements, des vêtements pas très onéreux, mais tout de même bien plus classes que ceux que le nomade avait l'habitude de porter. Et des bonbons, aussi ; Des petites amandes enrobées de sucre.
Quand il eut fini de se préparer, il sortait, un peu inquiet, perdu dans ce gigantesque château. Ce « château » en fait portait mal son nom. Les Croisés l'appelaient comme ça parce qu'ils étaient habitués aux châteaux de pierre qu'on trouvait partout en Borée. Mais c'était un ancien palais, qui avait appartenu à un riche Muharib, pour y placer son harem, ses locaux, et tout le reste. Le donjon était indéfendable militairement ; C'était un endroit de vie et de détente, une résidence, pas un ouvrage fortifié. Il y avait, sur les nombreuses terrasses et jardins, une superbe vue sur l'océan et sur l'eau azur sur lequel le soleil se reflétiat.
Pas étonnant que Samadina ait été la première ville à tomber. Heureusement, les Croisés avaient été magnanimes et n'avaient pas massacré la population, ils ont juste reconverti la mosquée du palais en chapelle.
A Hédène, ça a été autre chose. Philippe avait raconté l'histoire à Malachite. Les croisés, fatigués d'une année de campagne interminable, malades, affamés, sont enfin rentrés dans la ville-sainte qu'ils avaient tant lutté pour... Et ils ont massacré tout le monde. Tout le monde. Sur les marches de l’Église où Calanthe avait été enterrée, on se baignait dans du sang qui montait jusqu'aux genoux.

Un peu perdu, un domestique se décida finalement à venir, et à attirer le jeune jusqu'à une belle pièce, couverte de dorures et de soies, en hauteur. Il y trouva Philippe, assis sur un gigantesque canapé, qui lui aussi avait troqué son armure d'hospitalier pour un habit très détendu et souple de noble local.

- Te voilà, mon frère. Vient donc t'asseoir.

Les deux hommes étaient seuls. La pièce était très illuminée, mais fraîche. Très fraîche. Alors que dehors il faisait une chaleur étouffante, ils étaient ici totalement à l'abri, très bien. Philippe était fatigué. Il avait envie de dormir. Son visage était tout rouge, à cause du soleil qui avait laissé ses marques.

- T'ai-je parlé de mon frère, Thomas ? On a grandit tous les deux en Agrance. Un Royaume très loin d'ici. Il n'est que le troisième fils de notre père, et du coup, il n'a jamais eut aucune chance d'hériter. Mais qu'il prenne la croix, je ne m'y attendais pas... Il ne l'a pas fait par devoir. Je ne crois pas. Je pense qu'il l'a surtout fait pour se tailler sa propre principauté.
Il a bien réussi. Ma famille a toujours été très pauvre. Nous n'avions que peu de manants, et notre château était vétuste et sale. Et pourtant, regarde tout le luxe qu'il peut s'offrir... Je n'ai jamais vu ça.

- Oui, j'ai eut beaucoup de chance !

Thomas était revenu. Et il avait à son bras une jeune femme aux courts cheveux noirs et à la peau très blanche, vêtue d'une belle robe qui lui recouvrait tout le corps. Elle sourit à Philippe et à Malachite, avant de faire une très courte révérence.

- Mon frère. Thomas m'a beaucoup parlé de vous.
- J'espère bien, ma dame.
- Je te présente Mahaut de Castellanne, Comtesse de Cirilie. Et fille du très grand duc Stannis le Fier.
Et donc. Ce jeune homme. C'est juste ton guide ?

- Il est ici car nous allons parler de quelque chose d'important, la raison de notre venue.
- Oui, parlons de ta venue. Pourquoi t'es arrivé à pied ? Sérieux, quand on vous a trouvé, toi et ta troupe, on aurait dit que vous étiez à l'article de la mort !
Tiens, asseyons-nous.


La comtesse et son mari allèrent s'installer juste en face. Tout le monde était assis à l'orientale. Pas autour d'une table en bois, mais avachis sur des canapés et des fauteuils, formant un cercle, avec au milieu du thé et des friandises.

- Nous avons été attaqués par un dragon.
- Un dragon ?!
- Et par une bande de monstres.
- Ah ah ! T'entends ça chérie ?

Thomas se pencha pour gober une date. Mais il observa le regard de son frère, ses yeux bleus et froids. Il était sérieux. Le plus sérieux du monde.

- Non. Attend, tu déconnes là ?
- Je ne mens jamais.
- Tu sais que... Bah, traverser le désert rouge, ça provoque des hallucinations ? Je pense que vous vous êtes juste perdus un moment.
- Je sais ce que j'ai vu ! J'ai des brûlures que le dragon m'a provoqué !
- Oui, oui, c'est ça, tu as raison !

Thomas parlait à Philippe comme s'il était un vieux sénile. Et il mâcha, la bouche ouverte.

- Nous sommes venus ici parce que nous avons besoin d'aide. Mais je vais laisser Malachite tout t'expliquer.
- Expliquer quoi ? Il a quoi le petit ?
- Il y a deux mois, il a vu quelque chose dans le désert.
Un fangeux.
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeVen 24 Juin - 15:41

Le couple me fait peur. C'est la première fois que je vois des nobles tout en sucre comme on me les a décrit. Thomas a des mains de fille. Je suis moi même pas un des meilleurs exemplaires de ce que la testostérone peut produire, mais au moins mes mains ressemblent à quelque chose. Elles sont abîmées, les ongles épais, les tendons gonflés. Y a de la terre incrustée jusque sous les cuticules, malgré le bain. D'ailleurs je suis misogyne : les filles ont les paumes plus rêches que celles de ce gars là. Je trouve ça dérangeant. Comme si il portait du maquillage. Sa femme aussi est intimidante. Elle est belle, mais de la même façon qu'une statue dans une église : parce qu'il y a beaucoup de boulot derrière. Je m'attends presque à voir un mec arriver avec un échafaudage pour rectifier ses cheveux.

Je... euh... je voyageais avec des frères hospitaliers et... c'était près de la baie de la Puante, on venait de la passer et... ben presque tout le monde est mort. C'est très rapide ces bêtes là. Je sais pas comment il est arrivé jusque ici. Messire. Monseigneur. Monsieur le comte. Pardonnez moi j'apprends encore votre langue.

Je souffre d'une grave maladie : celle de l'accent par intermittence. Normalement je n'en ai presque pas, il y a beaucoup de situations où ça me desservirait. Mais quand j'ai besoin d'avoir l'air un peu benêt et inoffensif, je dégaine mon plus beau jeu d'acteur. Le frère de Tourres m'a déjà vu faire, une fois on était poursuivi par des marchands qui voulait absolument vendre leurs merdes aux calanthiens qui leur semblaient si riche. Je leur ai tellement baragouiné dessus en nomade qu'ils ont fini par partir. J'fais super bien l'étranger qui comprend rien à ce qu'on lui dit mais qui persiste quand même. Là je mise plutôt sur le fait d'avoir l'air jeune, un peu bête, et que ça servirait à rien de me punir pour mon ignorance des formules de politesse vu que c'est probablement les derniers nobles que je verrais dans toute ma misérable vie.

Ma description a été assez plus que synthétique, mais ça a pas été un problème. La dame s'est mise à râler qu'elle n'était pas d'humeur à écouter des histoires d'horreur, pas avec le mal de tête qu'elle a eu toute la nuit ! Qu'elle voulait rester en famille, que ça arrive pas si souvent que ça. Le frère de Tourres a eu l'air indigné, mais je me suis fait congédié aussi sec et j'ai pas essayé de rester par solidarité : ça dépasse mes forces. Je sais que l'histoire du Fangeux est importante, mais, hé, c'est pas moi qui va convaincre une dame de m'écouter, si ?

Je suis pas parti en courant de la terrasse seulement parce que j'avais peur de me prendre une flèche dans le dos sur le principe. Et pour la première fois depuis que j'ai quitté le monde des monstres, je ressens une petite bouffée d'enthousiasme pour l'avenir : maintenant je peux aller voir la ville ! J'en ai jamais vu d'aussi grosse ! J'ai envie d'aller voir le marché au bétail. Et les tavernes. Et les dames. J'ai pas d'argent mais ça va pas être longtemps un problème. Mais je voudrais récupérer mes anciens vêtements d'abord. J'aime pas du tout les nouveau. Ils grattent, et j'ai l'air d'un domestique comme ça.

Comme j'ai pas l'habitude des palais, j'ai un peu foutu la zone du coté de la laverie. Personne m'a empêché d'entré, j'suis fringué comme les employés. J'ai tout retourné pour retrouver mes vêtements de voyage. Je me suis sanglé avec plaisir dans mon ancienne crasse, en portant mon fatra comme une seconde peau. Je veux pas découvrir la ville déguisé en pâtisserie. J'ai traversé le désert rouge deux fois et j'veux que ça se voit.
Je suis sorti comme je suis venu. J'ai vite quitté le coin huppé, conduit par un sixième sens vers l'endroit où les gens ont eu l'idée saugrenue de réunir plein de gros animaux. Je m'inquiète pas de savoir comment je vais retrouver le frère de Tourres. Je sais même pas si j'ai envie de revenir. Je l'aime bien, même si on sera jamais vraiment dans le même camp vu qu'au fond il veut me tuer. Il était content de me voir vivant après l'épisode des monstres. Il m'explique toujours les choses. Mais... ben y a Bohémond, voilà.
Je m'arrête deux secondes dans ma course déterminée vers le marché à bétail. J'ai pas vraiment eu le temps de cogiter là dessus, mais une heure loin de ce mec a fait des merveilles sur mon psychisme : je me rends compte à quel point je vivais dans la terreur perpétuelle qu'il me coince dans un coin. Il y a eu le séjour chez les monstres bien sûr mais... c'était comme un rêve. Je m'en souviens pas comme d'un truc réel en tout cas. Les jouets qu'il y avait là bas, je sais plus ce que c'était par exemple. Je me rappelle qu'ils étaient incroyables et fascinants, mais c'était quoi ? Il y avait l'ours en peluche, et... j'en ai vu des centaines de ces machins pourtant !
Bref : je sais que je veux deux trucs. Eviter l'autre taré et retrouver le pays des monstres.

Je sais pas pourquoi voir des cadavres là bas m'avait autant effrayé. Qu'est ce que j'en ai à foutre de pas moisir après mon trépas ? Je serais mort, bordel de merde ! Puis ça m'a l'air plutôt hygiénique de pas avoir le ventre rempli d'asticot. Nan, j'arrive pas à me rappeler pourquoi ça m'avait autant ému. Et y a forcément un moyen de retourner là bas. Je verrais après ma visite de la ville déjà. Faut bien que je me balade dans ce lieu de culture et de religion, tout ça. Il dirait quoi le frère de Tourres hein ?

Donc j'admire pendant le chemin les tavernes qui servent plusieurs boissons différentes, les étales pleine de saloperies de toute les couleurs, les gens de mon âge qui se baladent en groupe en rigolant entre eux. Il y a beaucoup de chats dans cet endroit de la ville. Les maisons sont dans une gamme de couleur entre le jaune passé et le marron sale, mais il y a des jolies plantes à grosses fleur violettes qui poussent partout sur les façades. Mais ce qu'on trouve vraiment le plus, c'est des mecs qui vendent des trucs. Ou des meufs.

En fait, le marché couvre la moitié de la ville, et rien que la zone consacrée aux animaux s'étend à perte de vue sur une place incrustée d'excréments. Les plus petites étales avec quelques poules anémiques et un fennec malade débordent dans les rues adjacentes. Je suis comme un gosse dans un magasin qui essaye de tout toucher, mais par la pensée. Il y a des animaux que j'ai jamais vu, des oiseaux étranges. Il y a même un mec avec deux loups qui fait passer un chapeau. Les pauvres bêtes sont à moitié folles de terreur. En fait, la plupart des créatures ici sont dans un inconfort total. Ca sent bizarre, il y a trop de congénères sur une petite surface, trop de bruit, rien à manger, il fait chaud, l'humain n'a pas remis d'eau, j'ai écrasé un de mes petits sans faire exprès.

Je secoue la tête. C'était pas très plaisant, en fait. Et maintenant que j'ai fait l'effort d'écouter, j'ai du mal à ne pas entendre. Mais j'ai pas le temps de me remettre les idées en place, je me prends un coup de poing dans les dents et une voix féminine me dit dans ma langue maternelle :

Viens là sale petit branleur, tu veux pas faire plus de boucan dis ? Es tu con ?

Je lève le nez. C'est une de mes nombreuses tantes. J'ai failli me pisser dessus de terreur. De son coté elle plisse ses yeux de vieille dame myope pour essayer de reconnaître un membre de sa famille qu'elle n'a pas vu depuis cinq ans. Depuis que les muharib nous massacrent, et vu que les nomades dans notre genre sont plutôt endogames pour des raisons pratiques, on se ressemble un peu tous. Ma tante est mon double féminin vieillissant, à peine plus petite, taillée comme une gymnaste en temps de guerre. Sauf qu'elle a tout le costume traditionnel. La coiffure hyper élaborée, avec des dread, des tresses, des parties du crâne rasée, des bijoux. On pourrait élever une famille de furet là dedans, ça se verrait même pas. Les bijoux aussi. Y a de quoi forger tout un service de casserole avec ce qu'elle porte aux poignets. Je subis donc cette vision d'horreur d'une pécore absolue en train de me tirer le biceps. Elle va tellement m'engueuler en baragouinant devant tout le monde.

Oh Malachite... t'es pas mort ! Ta mère va être si heureuse !

Et là elle me prend dans ses bras. Je me raidis. Bon, tout n'est pas perdu. Elle sait pas que j'ai fugué exprès. J'aurais jamais cru. En tous cas ça me laisse plus de latitude pour m'enfuir une fois encore. Tatie sent l'alcool, et elle a la plupart des dents noires. Elle bouge comme si tout le décor risquait d'exploser si elle le touchait. Elle aurait jamais foutu les pieds en ville si la pauvreté ne l'y contraignait pas.

- Mon petit, il ne faut pas que tu t'étales partout dans les esprits comme ça tu... mais comment tu pourrais le savoir. Personne ne te l'a appris.

- J'ai des questions à te poser là dessus.

Malgré son alcool et l'émotion, elle tique que quelque chose ne se déroule pas comme ça devrait. Le petit n'est pas en train de pleurer pour retrouver sa famille. C'est parce qu'il a pas envie de retourner fouiller la bouse et se faire mettre des coups de pied par le premier muharib qui passe. En plus on est combien maintenant ? Une trentaine, dont vingt vieux ? Tu sais ce que ça fait de voir les mêmes gueules pendant quatorze ans ? Ca fait chier, voilà.

- Tu me payes un verre ?

Ma tante me regarde, hausse des épaules puis me fait signe de la suivre. Ca me fait bizarre quand même. Maintenant je me demande comment j'vais lui faire parler des dragons, de Béhémond, des monstres, l'air de rien.
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MessageSujet: Re: Salve Regina   Salve Regina I_icon_minitimeDim 26 Juin - 14:09

Malachite était sorti, et d'un coup ne restèrent plus que dans la pièce Philippe avec son « frère », et sa nouvelle belle-sœur. Une jolie jeune femme, elle avait des cheveux courts qui formaient quelques bouclettes autour de ses oreilles et sur le sommet de son crâne, elle avait une peau très blanche ce qui était étrange vu le climat. Un petit bout de femme, elle paraissait jeune, et un peu faible aussi, chancelante. Elle n'arrêtait pas de regarder Thomas, de lui prendre la main pour la serrer, et à chaque fois le jeune comte lui souriait mais relâchait cette emprise, éloignant ses doigts. On aurait presque dit qu'il était gêné de l'attention que sa femme lui portait. C'était très bizarre. Ils étaient bizarres, tous les deux.
C'était le genre de détails que Philippe remarquait. Il était très fort pour déceler des petits mouvements, des gestuelles chez les gens. Mais c'était pas ça l'important.

- Eh bien... Quel témoignage convaincant ! Des fangeux, des dragons, des monstres. Quel roman !
- C'est très sérieux, Thomas ! La Terre-Sainte est menacée.
- Tu sais bien que je ne crois pas en ces idioties.
- Alors en quoi crois-tu ?
- Credo in Deum.
- Amen.

Les deux se complétaient par leur connerie respective. Cela avait fait serrer les dents à frère Philippe, et les poings aussi. Il s'était levé, bondissant de son séant pour s'approcher de la fenêtre. Il observa un moment la cité qui s'étalait devant lui, alors qu'il subissait les regards du couple qui le prenait clairement pour un débile sénile.

- Quel espoir avons-nous, si tu ne me crois pas ?
- Écoute, la Fange, c'est bien mignon, mais les seuls endroits où qu'on dit qu'ils existent c'est au plus profond de la Longuejarrie. Là où il y a rien à part des marécages et des païens. Tu veux mon avis ? C'est un canular. Un moyen pour l'ordre Töterique d'obtenir des dons, des recrutements, et justifier leur invasion de l'est Boréen.
Quand à toi, ce serait bien ton genre, à toi et tes hospitaliers, de me mentir pour que j'envoie une ost dans le sud ! Mais tu ne te rends pas compte ?! Cela voudrait dire aller à l'encontre du Rex Bellator, le Roi d'Hédène, et ce serait me mettre à dos le Sheik Merihm, avec lequel je suis un très bon ami.
- Tu me traites de menteur ?!
- C'est l'explication la plus logique, l'explication la plus logique est souvent la plus convaincante.

Philippe afficha une mine de dégoût. Il fronçait les sourcils, et fusillait du regard son imbécile de frère. Il avait envie de le tuer, ici et maintenant. Lui sauter dessus, l'anéantir.
Pour autant ça n'aurai rien apporté. Alors il se contenta de s'approcher au milieu de la pièce en se donnant une posture droite et fière.

- Imbécile ! Tu ne te rends donc pas compte ?! Il ne s'agit plus de politique. Il ne s'agit plus d'intérêts. Il s'agit juste de défendre la Terre-Sainte, de la sauver, qu'importe les lois ou les coutumes. Si on n'agit pas maintenant, tout est fini !
- Ah ? Et que dois-je faire, pour sauver la Terre-Sainte ?
- Je pense avoir identifié un Temple, où est allé mourir la Chèvre-Sainte qui donna la vie à Calanthe. Son sang serait un artefact précieux pour nous permettre de vaincre la Fange.

Thomas pouffa de rire.

- Tu entends ce que tu dis ? Comme si des centaines de chevaliers n'avaient pas déjà essayé de le trouver, ton Temple... Qu'est-ce qui te dis que toi tu es plus compétent qu'eux ?
- Parce que j'ai obtenu une carte ! Regarde !

De sa main, il sorti de la poche intérieure de son mantel une sorte de vieille carte tatouée sur la peau d'un mouton, et l'étala sur la table. Il y avait des couches de peintures, des traces très approximatives de lieux dans le Désert Rouge, et on voyait très clairement que la frontière était identifiée par des rochers... Et que donc, le Temple se trouverait côté muharib.

- C'est ça ?! C'est ça ta preuve ?! Une vieille carte toute pourrie ?!

- Je l'ai trouvée au sein du Saint-Sépulcre d'Hédène.
- Toi ?! Toi tu l'as trouvée dans le Saint-Sépulcre, le Tombeau de Calanthe ?!
- C'est un artefact qui a été déplacé avec un wâdi muharib. Il a réussi à atterrir jusqu'à l'hôpital que je sers.
- Je doute très, très sincèrement de la véracité de cette histoire. Je pense que, à défaut d'inventer, tu délires, comme le chevalier qui est venu avec toi. Je me fais du soucis pour toi, Philippe ! Tu ne te rends pas compte ?! Tu délires complètement.
- JE NE DELIRE PAS !

Il attrapa Thomas par le collet et commença à le secouer énergiquement. Mahaut cria en se levant, terrifiée. Immédiatement après, deux sergents d'armes entrèrent en courant, vêtus de mailles, un casque sur le crâne, et portant un surcot aux couleurs de la maison de Tourres : Un aigle à deux têtes sur un fond blanc.
Mais le petit Thomas fit un signe de main et les sergents ne cherchèrent pas à tuer l'hospitalier. A la place, Philippe se calma.

- Mon frère, mon pauvre frère... Tu es brûlant. Tu ne vas pas bien. Il faut que tu te reposes au lieu d'inventer des histoires.
- Pourtant tu vois tous les cataclysmes ! Les malades qui s'entassent dans les hôpitaux !
- Ce ne serait pas la première fois qu'on a des malades. Rien de grave.
- Les fangeux qui tuent les hospitaliers !
- Malachite est un nomade. Qu'est-ce qui te dit que ce ne sont pas les siens qui ont tué tes hospitaliers ? Et qu'il a menti pour les protéger ?
- J'ai vu le dragon de mes propres yeux !
- Cela arrive. Un dragon qui rode dans le désert rouge n'est pas incroyable, tant qu'il reste éloigné des villages et des routes civilisées.
- Et des monstres ! Des monstres avec un œil sur le torse !
- Un délire parce que tu avais soif et que tu étais fatigué. Cela arrive.

Est-ce que c'était vrai ? Est-ce que Philippe avait tout déliré ? Comment faire quand on a raison et que personne ne le croit ? Est-ce que c'était donc ça, être fou ?
Philippe lâchait son frère et se reculait en gardant ses mains sur son visage. Thomas lui posa une main sur son épaule, et lui fit de beaux yeux.

- Mon frère, mon frère... Reste ici pour dormir ce soir. Toi et tes amis, je vous invite à ma table. Vous allez vous reposer, boire et manger, et vous retournerez à votre hôpital dans une semaine.
- Tu es fou !
- Ne t'inquiète pas, Philippe... Si cela peut te rassurer, j'irai envoyer des patrouilles à la frontière. Cela te va ?
- Il faut trouver le Temple ! Le Temple de la Sainte-Chèvre !
- Mais oui. Ce soir, Philippe, au dîner.

Il fit un signe de main pour l'éloigner, et les sergents d'armes escortèrent un peu virilement le pauvre Philippe vers une chambre pour qu'il y soit enfermé jusqu'à ce qu'il veuille bien se calmer.

Pendant ce temps, qu'arrivait-il à sire de Sarosse ? Il délirait dans un lit, lui aussi. Il était brûlant et assoiffé. On aurait dit qu'il allait bientôt mourir. Mais il voyageait.
Il avait réussi à prendre le contrôle d'un gros chien dans la ville. Et maintenant, il suivait Malachite dans les ruelles. Une envie se faisait sentir. Il voulait s'attaquer au métèque. Il voulait l’étriper, et le violer, tant qu'il était dans la peau du canidé.
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